Indemnisation des victimes : « On aurait besoin que l’IVAC nous tienne par la main »
Un peu plus d’un an après la réforme du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), des victimes et des intervenants estiment qu’il demeure éprouvant d’obtenir de l’aide. Le ministère de la Justice du Québec promettait pourtant de placer les victimes « au cœur du processus ».
Johanie Bellemare St-Georges dit qu’elle a dû se montrer entreprenante auprès de l’IVAC pour obtenir les sommes auxquelles elle avait droit.
Photo : Radio-Canada / Mathieu Ouellette
Johanie Bellemare St-Georges est aujourd’hui reconnue comme une victime d’actes criminels par l’IVAC, un statut qu’elle décrit comme chèrement acquis. « J’ai eu l’impression d’être seulement un numéro et qu’on voulait juste appliquer des règles strictes à mon dossier, confie-t-elle. Je me compte tout de même chanceuse de toute l’aide que j’ai reçue. »
L’infirmière Amélie Mercier, elle, a longtemps refusé de se considérer comme une victime. Elle refuse toutefois de blâmer le régime de l’IVAC.
Le système de justice ne m’a peut-être pas aidée à punir la personne qui a commis un acte criminel à mon endroit, mais il m’a quand même aidée à cheminer, dit-elle. À guérir. L’IVAC a tout changé dans mon cas. Je suis extrêmement reconnaissante envers ce programme.
Besoin d’être écouté
Photo : Radio-Canada / Mathieu Ouellette
Johanie Bellemare St-Georges, dont le dossier est réputé complexe, rappelle qu’elle a dû se montrer entreprenante pour obtenir les sommes auxquelles elle avait droit. Outre la difficulté d’être écoutée et de bénéficier d’un accompagnement personnalisé et adapté à sa situation, elle déplore les temps d’attente au téléphone et les délais de traitement associés à son dossier.
Quand tu es en dépression post-traumatique, tout est une montagne. Juste de faire des démarches comme celle-là, c’est lourd. On aurait besoin que l’IVAC nous tienne par la main, nous accompagne, nous appelle. Ce n’est pas nous qui devrions faire ça.
La femme de 38 ans n’est pas la première à se plaindre de l’IVAC en ces termes.
L’ancienne protectrice du citoyen Raymonde Saint-Germain a publié en 2016 un rapport spécial pour exposer les lacunes du régime gouvernemental. Son successeur, Marc-André Dowd, rappelle dans le plus récent rapport du Protecteur du citoyen (Nouvelle fenêtre) que la direction générale de l’IVACapplique parfois ses propres critères d’attribution d’aide financière de façon restrictive, privant des victimes d’un soutien essentiel à leur rétablissement
.
Johanie Bellemare St-Georges plaide pour une meilleure coordination entre l’IVAC et les différents organismes qui soutiennent les victimes.
Photo : Radio-Canada / Mathieu Ouellette
Johanie Bellemare St-Georges, qui affirme avoir été contrainte de tatouer sur une partie intime de son corps le surnom de son agresseur allégué, prétend par exemple avoir pleuré
au téléphone pour obtenir le remboursement de ses séances de détatouage.
Ça n’a pas été accepté du premier coup. Quand j’en ai parlé à l’intervenante de l’IVAC, elle m’a dit : « Ah non, ça, on ne rembourse pas […] Nous allons passer par la psychothérapie pour t’aider à accepter le tatouage et à vivre avec ». J’étais tellement insultée, raconte Mme Bellemare St-Georges. L’intervenante s’est ensuite rendu compte que la règle qu’elle essayait de suivre n’avait pas de bon sens.
Photo : Radio-Canada / Gabriel Poirier
Une réforme, deux interprétations
Selon le protecteur du citoyen et selon l’ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, la réforme de l’IVAC s’apparente à un verre d’eau. Excepté qu’il est à moitié plein pour l’un et à moitié vide pour l’autre.
témoigne d’une volonté de mieux reconnaître à la personne victime d’une infraction criminelle le droit à une assistance appropriée. Extension des crimes contre la personne, élargissement de la notion de victime, prolongation ou abolition des délais pour soumettre une demande d’indemnisation… autant d’aspects accueillis favorablement par l’institution, malgré la persistance de certaines lacunes.
Le second, qui représente des victimes lésées devant les tribunaux, assure pour sa part qu’elle ne change rien. Il décerne à l’IVAC le prix citron
des organismes publics. Ça devrait être le contraire. On devrait offrir de l’écoute, de la compassion, des intervenants humains, souligne-t-il. L’IVAC traite avec une clientèle très particulière. Il faut avoir été victime d’un crime contre la personne. Agression sexuelle, tentative de meurtre, voies de fait, des crimes graves qui causent des dommages permanents.
Ce n’est pas une bonne loi [la réforme de l’IVAC]. Ce n’est pas vrai que l’ensemble des victimes sont plus avantagées. On offre davantage de services psychologiques, mais bonne chance pour trouver un psychologue.
Me Bellemare dénonce lui aussi l’encadrement qu’offre l’IVAC aux demandeurs d’indemnités. Il décrit les agents comme froids
et peu empathiques
, une situation qui perdurait malgré la réforme d’octobre 2021.
Le cabinet de Marc Bellemare, Bellemare avocats, représente des citoyens victimes d’accidents de la route, d’accidents de travail et d’actes criminels. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada
L’un des nœuds du problème réside, selon lui, dans la centralisation des services de l’IVAC au 1199, rue De Bleury, à Montréal.
C’est la raison pour laquelle j’ai des clients à Rouyn-Noranda, à Gaspé, à Drummondville. Ils sont indemnisés depuis 10 ans, mais ils n’ont jamais rencontré le fonctionnaire qui s’occupe de leur dossier. La qualité des services est bien moindre, insiste-t-il. C’est très déshumanisé. On parle à des boîtes vocales, des agents ne rappellent pas. Sans compter le roulement extrêmement important de fonctionnaires responsables des dossiers.
La décentralisation dans chaque région urge. Il faudrait un bureau régional [de l’IVAC] à Rouyn-Noranda ou à Val-d’Or, comme c’est le cas avec la CNESST.
Outre les compétences des agents de l’IVAC et la centralisation des services, Me Bellemare critique les changements apportés par la réforme aux indemnités de remplacement de revenu. Il admet que la réforme indemnise plus de victimes, mais ajoute que celles déclarées inaptes au travail peuvent perdre leur prestation après à peine trois ans.
Le protecteur du citoyen regrette de son côté des inégalités qui persistent entre les catégories de victimes
et la notion d’invalidité de l’enfant, rarement applicable aux personnes mineures
, notamment.
De l’intérêt des intervenantes
Photo : Radio-Canada / Gabriel Poirier
C’est au contact d’intervenants, comme des patrouilleurs et des enquêteurs, qu’Amélie Mercier s’est laissée convaincre de tenter sa chance auprès de l’IVAC. Une intervenante du CAVAC l’a aidée à franchir le pas.
C’est elle qui a rempli le formulaire pour moi. Je suis une personne éduquée, je suis allée à l’université, je suis capable de remplir des formulaires, mais je n’étais pas capable d’admettre que j’étais une victime. Pour moi, je n’étais pas une victime, j’étais une plaignante. Moi, j’ai [seulement] signé la feuille.
Un babillard du Point d’appui, à Rouyn-Noranda, recèle des mots d’encouragement.
Photo : Radio-Canada / Gabriel Poirier
Son histoire recoupe les conseils de Judy Noury et de Josée Bélisle, respectivement intervenante au Point d’appui à Rouyn-Noranda et coordonnatrice administrative du CALACS-Abitibi à Amos. Elles invitent les victimes à solliciter l’aide d’intervenants pour les épauler et les guider dans les procédures de l’IVAC.
Est-ce qu’ils [les formulaires] sont accessibles à tout le monde dans la façon dont ils sont écrits? Je pense que non […] Peut-être que même nous, comme intervenantes, nous ne sommes pas au courant de la panoplie de services auxquels elles peuvent avoir [droit]. Un service professionnel, c’est large. Ce serait intéressant d’afficher cette information sur le site Internet [de l’IVAC]
, souligne Judy Noury.
Photo : Radio-Canada / Gabriel Poirier
Le formulaire de l’IVAC a beaucoup été simplifié, poursuit Josée Bélisle, mais ça reste une démarche souvent difficile pour les victimes. Elles doivent replonger au cœur de la violence qu’elles ont subie. C’est difficile aussi, car ça représente de la paperasse pour elles.
Amélie Mercier a commencé sa thérapie, financée par l’IVAC, il y a environ un an. Aujourd’hui, je vais super bien. J’ai l’esprit beaucoup plus libéré. Plus d’ouverture. Une meilleure compréhension et acceptation de mes émotions
, évoque-t-elle.
J’encourage toutes les victimes d’actes criminels, quels qu’ils soient, même si elles n’ont pas porté plainte, à faire les démarches, complète Johanie Bellemare St-Georges. Même si ce n’est pas toujours évident, c’est votre droit.
La direction générale de l’IVAC, qui a décliné notre demande d’entretien, rappelle par écrit que le nombre de victimes indemnisées a augmenté en 2022 par rapport aux années précédentes. Les dirigeants de l’organisme assurent qu’ils ont amélioré la façon dont les victimes sont accompagnées.
Avec l’entrée en vigueur de la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement (LAPVIC), ce sont plus de 6700 personnes supplémentaires comparativement à la même période l’année précédente qui ont reçu une aide de l’IVAC
, indique la direction de l’IVAC.
Environ 13 400 personnes ont été indemnisées par l’IVAC entre octobre 2021 et octobre 2022, contre 6655 entre octobre 2020 et octobre 2021.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1953361/aide-justice-palais-ivac-bellemare-point-appui