Indemnisation des victimes d’actes criminels : le vent tourne lentement
Des changements sont perceptibles dans l’application du régime public d’indemnisation des victimes d’actes criminels, « du moins en ce qui a trait à certaines décisions judiciaires », écrit l’auteure.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE
Dans un récent rapport, la protectrice du citoyen, Raymonde St-Germain, a fait état de nombreux problèmes liés au régime public d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), notamment les longs délais, les lacunes dans l’information donnée aux victimes et les difficultés d’accès au régime et aux indemnités.
Sur ce dernier point, Mme St-Germain a souligné que la direction de l’IVAC retenait une interprétation restrictive de la loi, en faisait une application rigide et imposait des conditions qui ne sont pas prévues par la loi.
Ces constats sont troublants et témoignent de l’urgence d’apporter des correctifs à un système dont la mission première est de soutenir des individus happés par des tragédies. Sur le terrain, on remarque néanmoins que des changements sont perceptibles, du moins en ce qui a trait à certaines décisions judiciaires.
Un jugement de la Cour supérieure, rendu le mois dernier par le juge François Huot, témoigne bien de ce virage, amorcé en 2013, après que l’avocat Marc Bellemare est monté au front au nom de Patrick Desautels, le papa des trois enfants que leur mère, Sonia Blanchette, était accusée d’avoir tués.
UN JUGEMENT INFIRMÉ
La décision du 15 septembre dernier porte quant à elle sur le décès de deux enfants survenu en juillet 2012, alors que leur père, qui contestait la demande de garde de la mère, a incendié l’appartement où il vivait avec ses enfants, les entrainant dans la mort. Leur mère a pris connaissance du drame en regardant la télévision, où défilaient en boucle les images du garage dévoré par les flammes et des policiers s’affairant autour des sacs blancs contenant les corps du père et des deux enfants.
La mère a souffert de dépression sévère et d’un état de stress post-traumatique. Elle a bien reçu de l’IVAC un dédommagement à titre de proche, pour les frais funéraires et quelques consultations auprès d’un psychologue, mais elle demandait qu’on lui accorde un statut de victime selon la loi, ce que lui avait refusé l’IVAC, le bureau de révision et le Tribunal administratif du Québec.
Plus de quatre ans après le drame, la Cour supérieure vient donc de casser ce refus, en confirmant que la mère des enfants se qualifie à titre de victime au sens de la loi.
La Procureure générale du Québec plaidait pourtant qu’il devait exister une relation causale immédiate entre l’acte et la blessure. La mère ne pouvait donc être considérée comme une victime puisque sa blessure psychologique ne tirait son origine que des conséquences, soit la mort de ses enfants. Elle soutenait également que la mère aurait dû être présente sur les lieux lors de la commission des meurtres et y avoir joué un rôle actif.
Le tribunal a estimé que la position de la Procureure générale était soutenue par l’interprétation limitative de la Loi qui prévalait avant l’affaire Desautels, mais que le virage jurisprudentiel entrepris depuis justifiait désormais une interprétation plus souple de la Loi. D’ailleurs, le juge Huot a souligné qu’une loi réparatrice, comme celle de l’IVAC, doit être interprétée de façon large et libérale, règle qui se trouvait escamotée par la position de la Procureure générale.
APPEL À LA SOUPLESSE
Au final, la Cour supérieure a conclu qu’il n’existait aucune différence entre une mère apercevant, sur un écran de télévision, les sacs de plastique contenant les corps inanimés de ses enfants et une autre les observant sur les lieux mêmes de la tragédie. En conséquence, il était déraisonnable pour les instances inférieures d’avoir refusé à la mère le statut de victime.
Ce jugement est important et confirme que l’appel à la souplesse et à l’ouverture a été entendu. Il faut maintenant espérer que le vent de changement soufflera jusqu’aux étages décisionnels de l’IVAC afin que les critères d’évaluation des dossiers soient revus et que les correctifs nécessaires soient apportés. Car tout équitable et juste que soit cette décision, il n’en demeure pas moins qu’elle a été rendue plus de quatre ans après les tragiques événements et que pareils délais prolongent la souffrance de victimes vulnérables et portent ombrage à la mission première de l’IVAC.