La Cour supérieure décrète la fin des mandats de cinq ans pour les juges de la CLP

 09 avril 2011 à 05h00

Marc Bellemare n’avait pas de lien avec la poursuite en cours, mais il connaît le dossier à fond puisqu’il a élaboré le document sur le sujet qui a servi de pierre d’assise au Parti libéral en 2003.

Publié par : Le Soleil, Samuel Auger

(Québec) Le gouvernement québécois ne devrait plus nommer les juges de la Commission des lésions professionnelles (CLP) du Québec pour une période de seulement cinq ans, tranche la Cour supérieure. Une victoire majeure pour les magistrats – et pour l’ancien ministre de la Justice Marc Bellemare. Ce litige aurait été en outre paralysé par le premier ministre Jean Charest et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), dénonce Me Bellemare.

Contrairement à la plupart des juges provinciaux, nommés à vie, les magistrats de la CLP sont limités à un mandat renouvelable de seulement cinq ans. Une telle restriction a toutefois été jugée nulle et inopérante la semaine dernière par le juge Jean Lemelin de la Cour supérieure du Québec.

À moins qu’il n’interjette appel, le gouvernement du Québec devra donc revoir les modalités d’embauche dans ce tribunal administratif, qui entend notamment les accidentés au travail devant la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

Un tel revirement juridique est attendu depuis près de 40 ans, estime l’avocat Marc Bellemare. «Ça pouvait affecter les juges, parce que ça rendait leur statut précaire. Et puis, la qualité de la justice, à mon avis, en souffre, parce que tout citoyen a le droit d’être entendu par un juge indépendant, et qui présente de bonnes garanties d’indépendance par rapport au gouvernement. Surtout si ce juge tranche des litiges entre le gouvernement du Québec, par le biais de la CSST, et un citoyen ordinaire. C’est d’autant plus important», a commenté Me Bellemare, vendredi.

À noter que l’avocat Marc Bellemare n’a aucun lien avec la partie demanderesse dans ce dossier. L’ancien candidat à la mairie de Québec connaît toutefois ce dossier de fond en comble. En mars 2003, il a signé un document de réflexion juridique à la demande du chef de l’opposition à l’Assemblée nationale, Jean Charest. Ce document stipulait alors «que le fait que ces mandats soient renouvelables aux cinq ans au bon vouloir du gouvernement constitue certes le talon d’Achille de notre justice administrative».

Marc Bellemare déplorait que les juges avaient moins de sécurité d’emploi que bien des travailleurs de la province. «Il est en effet curieux que ces juges aux pouvoirs considérables n’aient aucune sécurité à long terme, alors que tous les travailleurs québécois bénéficient, après trois ans de service continu, d’une protection avec droit de réintégration contre les congédiements sans cause juste et suffisante.»

Ce document, qui porte le sceau du Parti libéral du Québec, a été la pierre d’assise de la plate-forme libérale en matière de justice lors des élections générales en 2003.

Marc Bellemare a été rapidement nommé ministre de la Justice sous Jean Charest, et il entendait bien réformer cet aspect névralgique de la CLP. «La beauté de l’affaire, c’est que c’était un engagement électoral de Jean Charest en 2003. J’étais candidat sur cette base-là, mais M. Charest n’a jamais voulu, une fois élu, modifier la loi, pour donner aux juges de la CLP l’indépendance qu’il avait promis qu’il leur donnerait.»

Lobby syndical

Jean Charest a refusé de respecter sa promesse électorale en raison des objections du lobby syndical, soutient Marc Bellemare. «C’était particulièrement en raison du lobby de la FTQ, qui souhaitait que les mandats de cinq ans demeurent, pour pouvoir garder le contrôle sur la CLP. Pour la FTQ, c’est important que les mandats soient renouvelables aux cinq ans, pour pouvoir se défaire des juges qu’ils n’aiment pas. Je le sais, parce que j’étais présent à la rencontre du 29 mars 2004, où Henri Massé [ancien président de la FTQ] a convaincu Jean Charest de ne pas aller de l’avant avec cet engagement.»

Le gouvernement du Québec n’a pas encore annoncé s’il allait en appeler de la décision de la Cour supérieure. «J’ose croire que le gouvernement n’ira pas en appel de ce jugement-là, ça serait assez méprisant s’il le faisait. Je ne pense pas qu’il le fasse, compte tenu que ça rejoint son engagement électoral en 2003», conclut l’ancien ministre Marc Bellemare.