La fibromyalgie reconnue pour la première fois au Québec comme une lésion professionnelle
Dans ce qui est qualifié de jugement «important» et de «première» au Québec, le Tribunal administratif du travail a reconnu comme une lésion professionnelle la fibromyalgie développée par un ex-pompier de Québec après une blessure à l’épaule.
Patrick Bisaillon s’est déchiré la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche sur son lieu de travail en octobre 2018. Il s’en est suivi une opération en décembre 2020 et, à peine un mois plus tard, il commence à se plaindre de douleurs diffuses partout dans son corps.
«C’est de la douleur et de la fatigue constantes, raconte M. Bisaillon, qui doit ponctuer ses journées de siestes pour ménager ses énergies. Je me tombe sur les nerfs parce que je ne me comprends plus. […] Je suis désorganisé à l’os, ça en est terrible. Ç’a tout changé!»
Après une série de consultations auprès de spécialistes, le diagnostic de fibromyalgie sévère est confirmé, mais la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) refuse de reconnaître ce diagnostic comme une lésion professionnelle en lien avec sa blessure initiale à l’épaule.
«On me disait non à tout, raconte M. Bisaillon. Je n’avais plus confiance en la CNESST parce que c’était toujours une bataille.»
Il contacte alors l’avocat Marc Bellemare pour contester ce refus de la CNESST. C’est le témoignage d’un expert, l’anesthésiologue Jacques Saint-Pierre, qui fait pencher la balance en faveur de l’ex-pompier.
«La fibromyalgie, c’est nouveau comme maladie, ça fait peut-être une vingtaine d’années que des médecins s’intéressent à ça, explique Me Bellemare. Et ce qu’il y a de particulier, c’est qu’on l’a considérée en lien avec une chirurgie qui a mal viré.»
La fibromyalgie est une «maladie peu comprise et difficile à diagnostiquer», selon le Centre universitaire de santé de McGill. C’est un syndrome «qui provoque des douleurs, de la fatigue et des troubles cognitifs». Environ 4% de la population en souffrirait, principalement des femmes.
Encore de l’inconnu
Me Marc Bellemare n’hésite pas à qualifier le jugement de «première au Québec», tout comme le directeur général de la Société québécoise de la fibromyalgie, Ronald Denis, qui s’en dit même «surpris».
Pour sa part, Patrick Bisaillon ne sait toujours pas ce que ce jugement changera concrètement à sa condition. Il est sans emploi depuis le diagnostic et espère pouvoir compter sur une forme d’indemnisation rapidement.
Il espère aussi que son parcours pourra ouvrir la voie à d’autres personnes comme lui. «Il ne faut surtout pas lâcher. Quand on vous dit non, il faut aller devant le tribunal et avoir des médecins de son côté», tranche-t-il.
«C’est triste, mais il faut payer et ceux qui n’ont pas d’argent ne sont pas capables. C’est ça, le nœud du problème», ajoute le père de famille, dont l’un de ses enfants est autiste. «À la fin, j’ai eu raison, mais je me suis longtemps demandé si j’étais fou.»
La saga en six dates
- Octobre 2018: Patrick Bisaillon subit une déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche sur son lieu de travail;
- Décembre 2020: il se fait opérer à l’épaule et, un mois plus tard lors d’un rendez-vous de suivi, se plaint de douleurs généralisées;
- Septembre 2021: il obtient un diagnostic de fibromyalgie sévère de la part d’une rhumatologue;
- Mai 2022: la CNESST refuse de reconnaître le nouveau diagnostic de fibromyalgie comme une aggravation de la lésion professionnelle;
- Avril 2023: un anesthésiologue confirme le lien entre l’opération à l’épaule et le développement de la fibromyalgie en se basant sur neuf critères. Cette expertise sera mobilisée lors de la cause devant le Tribunal administratif du travail;
- Août 2024: le Tribunal administratif du travail conclut que la fibromyalgie de M. Bisaillon constitue une nouvelle lésion professionnelle qui découle de sa chirurgie à l’épaule.
https://www.journaldequebec.com/2024/08/29/la-fibromyalgie-reconnue-pour-la-premiere-fois-au-quebec-comme-lesion-professionnelle