Le ton monte entre Québec et les juges administratifs. Excédés par l’intransigeance du gouvernement, des juges du Tribunal administratif du travail menacent de tenir des jours de grève et d’arrêter de signer leurs décisions. Des moyens de pression « illégaux », dénonce Québec dans une mise en demeure.

Louis-Samuel Perron

Louis-Samuel PerronLa Presse

Ce qu’il faut savoir

  • Des juges du Tribunal administratif du travail ont voté pour tenir deux jours de grève cet automne
  • Ils réclament un régime de négociation distinct et des bonifications salariales
  • Québec dénonce les moyens de pression « illégaux » des juges administratifs

« Les membres ont été assez patients. Ils sont exaspérés. Nous sommes en discussions plus formelles avec le gouvernement depuis deux ans [sur nos conditions de travail] et rien n’a abouti », déplore en entrevue MMarie-Claude Lavoie, présidente de l’Association des juges administratifs du Tribunal administratif du travail (TAT) – Division de la santé et de la sécurité du travail (DSST).

Les juges du TAT-DSST entendent plus de 40 000 dossiers par année, surtout en matière de maladies professionnelles et d’accidents de travail – par exemple, un travailleur blessé au travail auquel on refuse des indemnités. Leurs décisions ont des répercussions sur des milliers de travailleurs et d’employeurs.

Les quelque 100 juges de cette association ont voté, au mois d’août dernier, pour tenir des journées de grève les 30 septembre et 7 octobre. Un droit qu’ils ne détiennent pas – techniquement.

Ils devaient aussi arrêter de signer leurs décisions à partir du 5 septembre dernier, ce qui aurait rendu leurs décisions inapplicables.

Les juges ont toutefois suspendu ce qu’ils appellent des moyens de « protestation » à la suite d’une mise en demeure obtenue par La Presse dans laquelle les avocats du ministère de la Justice les menaçaient de poursuites et de plaintes en déontologie.

Selon Québec, ces mesures constituent une « entrave claire » à leurs responsabilités de juges administratifs et contreviennent à leurs obligations déontologiques d’agir avec « honneur ». De plus, ces moyens de pression « illégaux » viennent « sérieusement » compromettre les droits des citoyens, écrivent les avocats du gouvernement.

Même si leurs moyens de « contestation » sont suspendus, les juges envisagent sérieusement de faire la grève si rien ne change dans leurs échanges avec Québec. « Pour le moment, la balle est dans le camp du gouvernement », maintient la présidente de l’Association des juges administratifs du TAT-DSST.

Des salaires plus compétitifs

Dans une lettre ouverte publiée vendredi dans la section Dialogue1, les présidents de plusieurs associations de juges administratifs reprochent au gouvernement du Québec de refuser « obstinément » de mettre en place des mesures permettant d’assurer l’indépendance de leurs membres. « Les juges administratifs […] ne devraient pas avoir à « marchander » avec le gouvernement pour préserver leur indépendance », écrivent-ils.

Les juges administratifs de 16 organismes et tribunaux réclament depuis longtemps un régime de négociation propre à leur réalité, à l’instar des juristes de l’État et des juges de droit commun. Québec leur accorde les mêmes augmentations salariales octroyées aux cadres de l’État, sans aucune négociation ou consultation. Ils réclament ainsi qu’un comité indépendant se penche sur leurs conditions.

« Quand tu es indépendant, tu ne négocies pas ton salaire. C’est ridicule qu’on soit le seul groupe sans régime distinct », lance Daniel Pelletier, président de la Conférence des juges administratifs du Québec (CJAQ), qui regroupe 300 des 400 juges administratifs de la province.

De plus, les salaires accordés aux juges administratifs ne sont plus compétitifs, s’alarme Daniel Pelletier. En vertu de leurs nouvelles hausses salariales, les juristes de l’État gagnent maintenant davantage que de nombreux juges administratifs : 165 000 $ pour un avocat du gouvernement, contre 159 000 $ à 169 000 $ pour un juge administratif.

Ça pose un problème de qualité et de rétention. Pour 4000 $, pourquoi un juriste de l’État solliciterait-il une fonction de juge ? Il faut ajuster la rémunération des juges administratifs. Si tu veux avoir de la qualité, il faut recruter les meilleurs juristes.

 Daniel Pelletier, président de la Conférence des juges administratifs du Québec

L’avocat d’expérience MMarc Bellemare, qui représente de nombreux citoyens devant le TAT, appuie les juges administratifs dans leurs revendications. « Les conditions sont complètement ridicules. À ce salaire-là, il n’y a presque aucun avocat du privé qui veut devenir juge », affirme l’ex-ministre de la Justice.

MBellemare rappelle que les citoyens paient le prix de ce conflit. Les délais au TAT, déjà longs, le seront probablement encore davantage avec les moyens de pression des juges administratifs, s’inquiète-t-il.

Une proposition inacceptable

Déjà, les juges du TAT-DSST ont commencé depuis juillet dernier à limiter leurs heures de travail. Ils refusent de travailler plus de 35 heures par semaine, et reportent plusieurs dossiers. Cette première ronde de « moyens de protestation » n’a toutefois pas fait bouger le gouvernement.

« Ils sont revenus avec une hypothèse totalement insultante », affirme MLavoie, présidente de l’Association des juges administratifs du TAT-DSST.

Selon Daniel Pelletier, Québec a récemment offert de bonifier les salaires des juges administratifs de 2 tribunaux sur les 16. Une proposition inacceptable, selon lui.

Si le gouvernement Legault ne bonifie pas ses offres, les juges administratifs vont envisager d’autres options, comme celle de faire valoir leurs droits devant un autre tribunal, assure Daniel Pelletier.

Le cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, n’a pas souhaité commenter le dossier.

https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2024-09-13/deux-jours-de-greve-votes/le-torchon-brule-entre-quebec-et-des-juges-administratifs.php