Marc Bellemare: collectionneur de liberté

29 juillet, 2012 – 05h00

Pour Marc Bellemare, aimer une oeuvre et choisir de l’acheter doit se faire pour soi, sans chercher l’approbation des autres ou suivre les diktats du marché souvent très vigoureux de l’art. Ci-contre, l’homme de droit devant un tableau de Jean Gaudreau.

Le Soleil, Patrice Laroche

 

(Québec) Marc Bellemare. Le nom évoque immédiatement l’avocat bagarreur, le démissionnaire fracassant du gouvernement Charest, le semeur de controverses. Mais, parfois, l’avocat et ex-ministre de la Justice cause plutôt art, poésie et infinie liberté de l’artiste.

«Mon intérêt pour l’art m’aide beaucoup à traverser les difficultés. Le droit est un monde sérieux et cartésien. L’art, ça me permet de vivre des choses particulières parce que les artistes, ce sont des gens libres spirituellement, philosophiquement et politiquement.»Cette phrase résume bien les deux heures d’entretien pendant lesquelles Marc Bellemare a partagé son «jardin secret»: sa passion pour l’art contemporain.

Secret bien gardé? À moitié. Vrai que dans le milieu, la passion de l’avocat, cofondateur en 2004 du Club des collectionneurs en arts visuels de Québec, est connue. Le Club organise une demi-douzaine d’activités grand public par an, Marc Bellemare fréquente des artistes, connaît les galeristes.

Mais dans la population en général, le nom de Bellemare rime davantage avec «no fault» et commission Bastarache qu’avec Riopelle ou Betty Goodwin.

Pourtant, l’art occupe une grande partie de la vie de l’avocat depuis qu’il a visité des musées européens dans la vingtaine. «Je voyais des gens pâmés devant un tableau. Je voulais comprendre pourquoi.»

Puis, il suit des cours d’histoire de l’art aux Ateliers Imagine au début des années 80. Sa première toile, il l’achète en 1988. Un Jean Paul Lemieux de 1960, Lune et nuages. Un tableau minimaliste, fait d’un grand ciel noir. «C’est une oeuvre assez austère, mais j’aimais ça», relate Marc Bellemare.

Un tableau qu’il a échangé il y a une quinzaine d’années pour deux Fernard Leduc. Le Lemieux, lui, s’est retrouvé au Musée des beaux-arts du Canada.

Penchant pour l’abstrait

Le collectionneur était né. Près de 25 ans plus tard, Marc Bellemare possède «une couple de centaines d’oeuvres» qui traduisent un grand penchant pour l’abstrait. «Une toile qui montre une cabane à sucre et un cheval, ça te dit qu’il y a une cabane à sucre et un cheval, illustre-t-il. Mais une oeuvre que tu ne comprends pas tout de suite, tu as l’impression que dans cinq ans, elle va t’envoyer un autre message.»

Pour Marc Bellemare, aimer une oeuvre et choisir de l’acheter doit se faire pour soi, sans chercher l’approbation des autres ou suivre les diktats du marché souvent très vigoureux de l’art.

Me Bellemare ne cache pas que sa collection vaut cher. Très cher, même. Mais il dit acheter parce qu’il a envie de vivre avec l’oeuvre.

Chez lui, et dans son cabinet d’avocats aussi, où l’entrevue se déroule entre un tableau de Jean McEwen et un de Jean Gaudreau. Dans une autre salle, on trouve trois panneaux d’une série de Jocelyne Alloucherie. Plus loin, un poème original de Claude Péloquin, une commande qui forme le nom de la conjointe de M. Bellemare, Me Lu Chan Khuong. Péloquin, auteur du fameux Vous êtes pas écoeurés de mourir bande de caves! qui orne depuis 40 ans la murale de Jordi Bonet au Grand Théâtre de Québec est le genre «d’esprit libre», de joyeux déjanté que l’ex-ministre adore. «Un jour, il m’a écrit: « Mieux vaut passer pour fou que passer tout droit »», lance M. Bellemare dans un éclat de rire.

Car si Marc Bellemare est enthousiaste lorsqu’il parle d’une oeuvre, il l’est tout autant lorsqu’il relate ses rencontres avec les artistes. Des insoumis comme Armand Vaillancourt, Jean-Paul Riopelle ou Marcel Barbeau. En 2009, Marc Bellemare a payé de sa poche la participation de Françoise Sullivan au Moulin à paroles, qui a lu un extrait du Refus global, le manifeste de Paul-Émile Borduas qu’elle a cosigné en 1948.

«Admiration» pour les Automatistes

Marc Bellemare, qui possède d’ailleurs un exemplaire original de ce texte fondateur du Québec moderne, a une «admiration sans bornes» pour les Automatistes, ce groupe à l’origine du Refus global. «Ces artistes bousculaient l’ordre établi, ils voulaient faire avancer le Québec et la société en général.»

Un engagement que M. Bellemare dit ne pas retrouver autant dans la génération actuelle qu’il aimerait voir davantage dans l’arène publique. «Je pense qu’il y a de la place pour une effervescence. L’environnement, les relations nord-sud, le cynisme des citoyens par rapport aux gouvernements. On pourrait faire un Refus global numéro 2!» illustre-t-il. «Les artistes en arts visuels possèdent un moyen d’expression exceptionnel et ils gagneraient à s’en servir plus. Je souhaite un peu plus d’affirmation parce que c’est l’essence même de l’art.»