Paradis de l’alcool au volant
03/10/2012
Le jour 2 du dossier sur les bars d’Isabelle Verge et d’Héloïse Archambault
Avec le régime du No Fault, les gens ne se sentent pas responsables des conséquences s’ils laissent quelqu’un prendre le volant en état d’ébriété. C’est du moins l’avis de l’avocat et ancien ministre de la Justice, Marc Bellemare, qui milite depuis 2003 pour un changement dans la loi. « À partir du moment où il n’y a plus de crainte d’être poursuivi, il n’y a plus d’intérêt à faire attention », dit-il à propos du régime sans égard à la faute.
Publié par : Journal de Montreal
Le Québec, pour M. Bellemare, c’est le « paradis mondial de l’alcool au volant ». C’est l’endroit au monde où les criminels de la route sont le mieux traités, «et c’est à cause du No Fault, qui met les chauffards et leurs alliés à l’abri de toute poursuite et qui leur permet de collecter la SAAQ allègrement», ajoute-t-il.
«Ils siphonnent la caisse de la SAAQ, et ces millions qu’on verse à des bandits et des crottés, c’est de l’argent que les vraies victimes n’ont pas», déclare Bellemare. Il affirme sans équivoque que ce régime n’est pas le bon pour le Québec.
Or, dans l’éventualité où la loi pourrait changer, il ne faudrait pas que la faute revienne seulement à la personne qui verse le verre de trop, selon Marie-Claude Morin, porte-parole de MADD (les mères contre l’alcool au volant) .
«Si on met l’emphase seulement sur le serveur, ce n’est pas juste non plus. On mettrait beaucoup de responsabilités sur une seule personne qui vit peut-être de ses pourboires», dit-elle.
Du bon et du mauvais
Cette dernière ajoute que le No Fault a ses qualités et ses défauts.
«Les victimes sont indemnisées rapidement. Les choses ne traînent pas. Pour ça, on est très contents de ce régime», explique la porte-parole, qui souligne que les choses pourraient devenir interminables dans un régime totalement différent.
Mais il y a l’autre côté de la médaille. «Les responsables ont accès à l’argent de l’État pour se réhabiliter, alors que les victimes ont droit au minimum seulement. Il y a des non-sens dans le système».
Elle ajoute que les personnes moins bien nanties se retrouvent souvent sur le pavé. Elle prend l’exemple d’une mère qui a perdu sa fille unique. À la suite de l’incident, la femme a perdu son emploi, son appartement, elle n’a eu aucune aide psychologique, et elle a reçu un montant qui ne couvrait même pas les funérailles de son enfant.
Selon M. Bellemare, une poursuite criminelle serait possible, même au Québec, si le plaignant réussit à prouver qu’il y a eu négligence criminelle.
«On pourrait le faire, car si tu laisses partir quelqu’un avec sa voiture, quand celui-ci est en état d’ébriété, que tu le sais et que cette personne tue quelqu’un, c’est une négligence criminelle. Mais la Couronne que nous avons au Québec n’a pas assez de courage, elle n’est pas assez solide. Ça ne s’est jamais fait avant», déplore-t-il.
Des bars poursuivis
Des établissements ont été reconnus responsables d’accidents, dus à l’alcool au volant, ailleurs au pays. Voici trois exemples de décisions rendues en Colombie-Britannique entre 1998 et 2005 :
Un verre de trop
Après une partie de golf, un client va au lounge du club, et y consomme de l’alcool pendant quatre heures.
Une seule serveuse s’est occupée de lui, à l’exception de son dernier verre. Cette dernière serveuse avait toutefois été avisée de l’état d’ébriété de l’homme.
La serveuse a laissé l’individu prendre le volant de son véhicule, et il a frappé un cycliste quelques minutes plus tard.
La cour a conclu que la serveuse a continué de servir le client intoxiqué malgré son état. Elle n’a donc pas pris les mesures nécessaires, qui auraient pu prévenir l’accident. Le lounge a été reconnu responsable de l’accident dans une proportion de 30%.
Devenu quadriplégique
Dans ce cas, un conducteur et deux de ses amis sont allés dans un lounge et ont consommé pendant trois heures. Ils ont quitté pour se rendre dans une boîte de nuit et ont continué à boire. Les trois sont retournés en voiture à la résidence du plaignant. Ils ont ensuite décidé d’aller en voiture à une fête dans une maison.
En route vers la fête, ils ont eu un accident qui a rendu un des trois hommes quadriplégique.
La cour a établi que les deux établissements auraient dû savoir qu’il était possible que les jeunes hommes, intoxiqués à l’alcool, prennent le volant. Ils auraient dû leur poser des questions sur leur probable intention de conduire. Chacun des deux établissements a été déclaré responsable de l’accident dans une proportion de 15%.
Quatre hommes trop intoxiqués
Quatre individus sont allés boire dans un bar. L’un d’entre eux était dans un état d’ébriété si avancé qu’il dormait sur la table, ne se réveillant que pour boire un peu plus.
La serveuse a demandé à un autre des quatre clients si l’un d’entre eux avait l’intention de conduire. Il lui a répondu qu’ils allaient prendre un taxi. La serveuse appelle donc un taxi pour ses clients.
Les quatre hommes sont finalement partis en voiture, ont perdu le contrôle du véhicule et happé de plein fouet un immeuble, de l’autre côté de la rue. Ils ont tous été éjectés du véhicule.
La cour a conclu que le bar a trop servi d’alcool aux quatre clients. Les employés auraient dû savoir qu’ils étaient intoxiqués, et malgré que des gestes aient été posés, ils n’ont pas été suffisants. Ils ont été reconnus responsables de l’accident dans une proportion de 20%.
La loi ailleurs
Ailleurs au Canada, ce n’est pas tout à fait la même chose. En Ontario par exemple, une personne peut poursuivre civilement un établissement, si un client fait un accident de voiture, en état d’ébriété, à la sortie du bar.
Il faut alors prouver hors de tout doute, que le serveur savait pertinemment que son client était intoxiqué à l’alcool, et qu’il l’a laissé prendre le volant en toute connaissance de cause.
Au Manitoba, il existe un système No Fault, mais il fait une distinction entre un accident de la route et un accident où l’alcool et/ou la drogue sont en cause. Une personne pourra intenter des poursuites civiles, contre l’établissement, si tel est le cas.
Aux États-Unis, des poursuites devant un tribunal civil peuvent être déposées contre un établissement. Il faudra, encore une fois, prouver hors de tout doute que le serveur savait que le « criminel » était en état d’ébriété, et qu’il l’a laissé partir en toute connaissance de cause.