Droit de poursuite: un débat sans fin

Trente ans après l’abolition des poursuites civiles en matière d’accidents de la route, l’avocat et ancien ministre Marc Bellemare maintient encore que les victimes devraient, dans certains cas, avoir le droit d’aller devant les tribunaux pour obtenir des indemnités, des dédommagements. Contre les chauffards criminels, mais aussi contre le gouvernement.

François Desjardins | Le Devoir

«On est probablement la société nord-américaine la plus absolue dans sa fermeture aux tribunaux civils», dit Me Bellemare, attiré en politique en 2003 par la promesse libérale de modifier la Loi sur l’assurance automobile. La promesse n’a pas été tenue et l’homme, déçu, est retourné à la pratique un an plus tard.

«Il faudrait, en fait, qu’une victime accepte de porter la cause. C’est pas facile. On voit des causes où il y aurait une possibilité d’exploiter une brèche dans la loi, mais les victimes accidentées qui vivent des difficultés au plan médical, au plan social, au plan économique, ne sont souvent pas intéressées à faire ce combat-là», dit Me Bellemare, qui représente des victimes devant les tribunaux administratifs.

Le régime d’assurance automobile est conçu de sorte que les victimes accidentées obtiennent des indemnités sans avoir à intenter des poursuites. C’est le principe du no-fault: tout le monde est indemnisé, tant le chauffard que la victime innocente. Dans certains cas, cependant, le gouvernement a une responsabilité, dit Me Bellemare.

«Le gouvernement du Québec n’est pas poursuivable, mais on sait que dans 10 % des cas, les accidents d’automobiles sont causés par l’incompétence du réseau routier: les problèmes de configuration, d’entretien routier, l’absence d’abrasif, etc.», ajoute Me Bellemare. Le gouvernement n’a pas intérêt à modifier la loi pour permettre les poursuites, dit-il.

«Le Parti québécois ne touchera jamais à ça, c’est son bébé. Du côté libéral, ils ont trahi leurs propres engagements il y a à peine cinq ans. Peut-être l’ADQ, sait-on jamais. Le parti a déjà soulevé la question lorsque le viaduc de la Concorde est tombé, faisant valoir que les victimes n’avaient pas de recours, mais l’ADQ n’a jamais proposé d’amendements», dit Me Bellemare.

Le viaduc

Le cas de no-fault le plus médiatisé des dernières années est effectivement l’effondrement du viaduc de la Concorde. L’automne dernier, les victimes ont accepté des indemnités totales de 1,6 million de la part de la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ). Elles n’ont pas signifié leur intention de se rendre devant les tribunaux contre le ministère des Transports.

Aux yeux de Me Bellemare, il faudrait répondre à deux questions. D’abord, un viaduc qui tombe sur des automobilistes constitue-t-il un accident d’auto au sens de la loi? Et deuxièmement, le fait que d’autres lois permettent des recours civils ne pose-t-il pas problème? «La Loi sur les accidents du travail, par exemple, permet les recours», dit-il.

«Ça serait une grave erreur», rétorque Lise Payette, qui a piloté la création du régime en 1976. «D’ailleurs, en ce qui concerne Me Bellemare, quand je l’entends, on sent l’avocat derrière. Mais le système doit absolument demeurer basé sur le no-fault. La structure tient bien en place à condition qu’elle reste solide.»

Mais il y a aussi des cas moins médiatisés. Sur Internet, il est facile de trouver des sites dédiés à des histoires de victimes qui dénoncent ce qu’elles qualifient d’erreurs de la part de la SAAQ. L’un d’eux est justicecontresaaq.com. «Si les employés de la SAAQ savent que les accidentés connaissent ce à quoi ils ont droit, ils n’auront pas le choix d’appliquer la loi…», peut-on y lire.

Me Bellemare affirme que sur une base annuelle, le nombre de contestations contre la SAAQ est supérieur au nombre de contestations à l’aide sociale. «Il y a 50 000 accidents par année. Or des bénéficiaires de l’aide sociale, il y en a combien?» Réponse: 229 000. Il s’étonne. «Ce déséquilibre, ce n’est pas normal», dit-il.

Le p.-d.g. de la SAAQ, John Harbour, n’est pas insensible à cela. «Un de mes dossiers présentement est de voir pourquoi nos clients ne sont pas satisfaits», dit

M. Harbour. «Aussi, on se demande s’il y a moyen de corriger le tir pour éviter ce genre de contestation-là.» Il faudra peut-être éclaircir la couverture du régime, dit-il. «On veut diminuer les poursuites, pas les créer!»