Le Québec est-il suffisamment sévère avec les chauffards?
Stéphane Baillargeon
L’agent de la SQ circulait sur la route de la Grande-Ligne à Saint-Rosaire vers midi, le 7 août 2020, quand son appareil radar lui a révélé la vitesse de la voiture croisée : 155 km/h, soit 65 km/h au-dessus de la limite permise de 90. Le chauffard a contesté la contravention et évoqué une « défense de nécessité », en inventant une moto le suivant supposément de trop près.
La Cour municipale de Victoriaville ne l’a pas cru et l’a déclaré coupable de l’infraction pour « grand excès de vitesse ». Il y a eu 7596 infractions signalées pour la même faute au Québec en 2020. Cette fois, l’amende était de 810 $, plus les frais de greffe, et 14 points d’inaptitudes au permis sur un maximum de 15. Ce montant et l’inscription de points étaient deux fois moins élevés avant 2011.
Est-ce maintenant trop, ou juste assez ? D’ailleurs, comment sont décidées ces sanctions ? Comment la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) module-t-elle les punitions pour non-respect du Code de la route ?
Dans certains pays d’Europe, les contraventions pour excès de vitesse se calculent en proportion des salaires. Et cela peut faire très mal au portefeuille.
En Norvège, les punitions peuvent atteindre 10 % du revenu annuel. En Finlande, les excès de vitesse sous le seuil des 20 km/h sont sanctionnés par un barème fixe. Le dispositif complexe lié au salaire mensuel s’applique au-delà de ce seuil. En 2004, un industriel a payé 170 000 euros pour avoir conduit à 80 km/h dans une zone de 40.
Au Québec, la même faute aurait coûté 350 $. Il y a eu 1826 contraventions distribuées en 2020 pour un excès de vitesse de plus de 40 km/h dans une zone de moins de 60. Ici, l’amende la plus forte prévue est de moins de 2000 $ pour une vitesse dépassant les 220 km/h dans une zone de 60.
On ne badine pas non plus avec les surexcités du volant dans certaines provinces canadiennes ou aux États-Unis. L’Ontario prévoit des amendes allant jusqu’à 10 000 $ pour vitesse excessive. En Oregon, une première infraction peut coûter 5000 $.
Beaucoup de pays européens prévoient le retrait automatique du permis en cas de très grand excès de vitesse dès la première infraction, comme c’est aussi possible au Québec. Certains, comme la France, la Norvège, l’Espagne et la Suisse, ont par contre adopté des règlements pour punir par la prison ces grands dépassements des limites (par exemple 100 km/h dans une zone de 50). Au Québec, même une quatrième infraction en dix ans ne conduit pas automatiquement en prison, à moins qu’un juge décide d’y voir une conduite dangereuse.
Rouler et tuer
Les infractions motorisées sont encore plus choquantes quand elles font de jeunes victimes. Le Code de la sécurité routière a été revu en 2022 pour doubler les amendes pour excès de vitesse en zone scolaire. Selon les informations fournies par courriel au Devoir, le ministère des Transports du Québec souhaite déposer dès cet été un nouveau plan d’action bonifié pour protéger les usagers les plus vulnérables. Il pourrait par exemple ajouter la mise en place de radars photo.
La ministre Geneviève Guilbault a évoqué fin avril la possibilité d’augmenter le nombre de points d’inaptitude inscrits sur les permis pour non-respect des limites de vitesse de 30 km/h et des mesures de sécurité dans les zones scolaires. L’omission de se conformer aux ordres d’un brigadier coûte en ce moment entre 200 et 400 $ d’amende et 4 points d’inaptitude sur les 15 que compte un permis d’une personne de plus de 25 ans. Par contraste, aux Pays-Bas, les rues autour de beaucoup d’écoles primaires sont tout simplement interdites aux voitures à la rentrée et à la sortie des classes.
Les oppositions de Québec ont fait front commun pour renforcer la sécurité routière près des écoles et des zones fréquentées par les enfants. Ces démarches surviennent quelques mois après le décès de l’élève Mariia Legenkovska, jeune réfugiée ukrainienne de 7 ans, mortellement heurtée par un VUS près de son école de Montréal, à 8 h du matin. Le chauffard est en attente de son procès pour délit de fuite mortel.
L’empire du char
« On ne parle pas assez du sujet des sanctions, dit Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piéton Québec, organisme de défense des droits des personnes se déplaçant à pied. Les comportements qui mettent en danger les piétons sont de fait très peu sanctionnés au Québec, même si le Code de la route a été revu en 2018. »
L’organisme milite notamment pour sanctionner davantage le non-respect d’un passage piéton, faute potentiellement létale qui n’entraîne pas pour l’instant l’imposition de points d’inaptitude. Mme Cabana-Degani ne veut pas se prononcer sur d’éventuelles amendes en proportion des salaires, mais réclame des sanctions plus fermes. « Il faudrait des amendes plus élevées, particulièrement pour le dépassement des limites de vitesse en milieu urbain, où il y a beaucoup de piétons », dit la d.g.
Elle ajoute que l’article 327 concernant la conduite dangereuse pouvant mettre en danger la sécurité des personnes (celui prévoyant des amendes de 1000 à 2000 $) est rarement appliqué. « Pour déposer des poursuites en ce moment, il faut considérer un écart marqué à la norme, dit la d.g. Or, la norme sociale demeure très tolérante, par exemple pour les excès de vitesse. On accepte aussi qu’un automobiliste puisse être distrait et causer la mort d’un piéton. Il y a un enjeu énorme là pour nous. »
Les comportements qui mettent en danger les piétons sont de fait très peu sanctionnés au Québec, même si le Code de la route a été revu en 2018.
Me Bellemare rappelle finalement l’importance de la culture de l’auto dans ce recoin d’un continent qui en fait une nécessité, mais aussi un objet de désir et de passion. Il y a ici plus de voitures (5,3 millions) que d’adultes de 20 à 64 ans (5,1 millions) .
« J’ai compris que le poids politique des automobilistes est plus important, dit l’avocat de Québec. Le gouvernement a toujours été frileux devant toute forme d’intervention face à l’automobile. Si tu touches à l’auto, c’est comme si tu arrachais le coeur du Québécois moyen. L’auto, c’est une espèce de religion au Québec, peut-être un peu moins à Montréal, où il y a des transports collectifs importants. »
SURVEILLER ET PUNIR
Les infractions de la route sont sanctionnées par le Code de la sécurité routière et le Code criminel. La SAAQ ne compile que les infractions pour lesquelles une déclaration de culpabilité a été enregistrée et qui entraînent l’inscription de points d’inaptitude. Le contexte de l’infraction (à la suite d’une collision ou d’un constat de visu d’un policier, par exemple) n’est pas non plus pris en compte dans les statistiques officielles. Selon les données de la décennie 2012-2021, le nombre annuel d’infractions entraînant l’inscription de points d’inaptitude avoisine les 820 000 en moyenne au Québec, mais recule sans cesse. Les années pandémiques l’ont fait chuter à 675 000 environ. Le nombre de permis de conduire révoqués à la suite de l’accumulation de points d’inaptitude se situe autour de 20 000 par année. De ce chiffre, près de 13 500 suspensions immédiates du permis sont prononcées pour conduite avec les facultés affaiblies, qui constitue une infraction au Code criminel. Les conducteurs de sexe masculin représentent huit contrevenants sur dix, alors qu’ils ne possèdent qu’un permis de conduire sur deux. Deux fautifs sur dix (21,6 %) ont moins de 25 ans, bien qu’ils représentent seulement un détenteur de permis sur dix (8,9 %). Bref, le jeune homme au volant reste particulièrement dangereux.
Sources : SAAQ, Infractions et sanctions routières 2012-2021
https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/791064/securite-routiere-le-quebec-sanctionne-t-il-suffisamment-les-infractions-de-la-route