« Les parents doivent se battre pour tout »

Une amie des parents d’une des jeunes victimes de l’attaque à l’autobus bélier contre la garderie éducative Ste-Rose à Laval, l’hiver dernier, tire la sonnette d’alarme pour dénoncer les conditions de l’aide aux victimes d’actes criminels et à leur famille.

Nicolas Bérubé

NICOLAS BÉRUBÉLA PRESSE

« Ce qu’ils vivent est d’une tristesse totale, dit Josée Bélanger. Ils sont détruits et en plus, ils doivent se battre avec le programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) pour obtenir des soins et des services cruciaux, et sont inquiets de la nouvelle limite de trois ans pour cette aide. »

Ne voulant pas prendre la parole publiquement et vivant des jours difficiles depuis l’attaque de Laval qui a coûté la vie à deux jeunes enfants, Jacob, 4 ans, et Maëva, 5 ans, les parents subissent les contrecoups émotionnels et financiers résultant de ce crime.

Mme Bélanger, qui s’exprime avec l’accord des parents de l’une des deux victimes, note que le couple est en arrêt de travail depuis le drame, survenu au matin du 8 février dernier. L’IVAC leur verse 90 % de leur salaire net, paiements qui vont cesser au bout de trois ans.

« Avant, c’était possible d’être indemnisé à vie, c’était un médecin qui décidait. Mais ça a changé avec la réforme de la CAQ en 2021 », dit Mme Bélanger.

L’IVAC rembourse aussi certains cours et formations, mais pas d’autres, ce qui nuit aux finances des familles affectées par un crime.

« Par exemple, le père a fait des cours qui sont remboursés par l’IVAC. Mais la mère a fait d’autres cours, et l’IVAC n’a pas accepté de les rembourser. C’est toujours comme ça. Il y a toujours des obstacles. Il faut se battre pour tout. »

Mme Bélanger, qui est elle-même une indemnisée de l’IVAC, signale aussi que les deux autres enfants de la famille bénéficient de 30 rencontres avec un psychothérapeute et que l’IVAC ne rembourse que la somme fixe de 94 $ par rencontre.

« Depuis la pandémie, les psychologues ont augmenté leurs tarifs. Une séance est passée de 80 $ à 150 $. Donc les parents doivent débourser la différence de leur poche. »

Toutes ces nouvelles dépenses imposent un stress financier à la famille, dit-elle, ajoutant que la somme allouée par l’IVAC pour la mort de l’enfant est de 64 000 $.

« C’est ça que ça vaut, une vie, au Québec. Ça vaut 64 000 $. C’est fou ! », se désole Mme Bélanger.

Pierre Ny St-Amand, chauffeur d’autobus de 51 ans inculpé de deux chefs d’accusation de meurtre au premier degré ainsi que de sept autres chefs d’accusation, dont tentative de meurtre et voies de fait graves, a quant à lui droit aux pleins services, dénonce-t-elle.

« Il est logé, nourri, a accès à tous les services, à de grands psychiatres, à la médication. Tout ça est payé. »

C’est une « aberration » qu’une victime d’acte criminel, même si elle est invalide à vie, se voie retirer ses indemnités après trois ans, ajoute-t-elle. « Et c’est vrai même si ta condition physique ou mentale ne te permet plus de travailler. L’IVAC met des bâtons dans les roues des victimes au lieu de les aider. »

Une modification de l’IVAC réclamée

Les nouvelles modalités de l’IVAC, dont la loi a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en 2021, vont mettre des Québécois victimes d’actes criminels en situation de précarité, dénonce Mme Bélanger, qui vient de lancer une pétition intitulée « Bonification de l’indemnité de remplacement de revenu pour les victimes d’acte criminel » à l’Assemblée nationale avec le concours du Parti québécois pour tenter de faire changer la loi.

Sans modification, il y a des victimes d’actes criminels qui vont se ramasser sur le bien-être social ou qui vont se ramasser à la rue.

 Josée Bélanger

Élisabeth Gosselin, directrice des communications au cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, signale que le gouvernement est « profondément bouleversé par le drame de la garderie survenu en février dernier à Laval et est de tout cœur avec les familles éprouvées par la tragédie ».

Sans pouvoir se prononcer sur des cas particuliers, Mme Gosselin note qu’avant la réforme de l’IVAC en vigueur depuis octobre 2021, un parent d’enfant mineur qui avait perdu la vie ne pouvait être reconnu comme victime par l’IVAC que si l’enfant avait été assassiné par l’autre conjoint.

« Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, tous les parents d’un enfant mineur décédé à la suite d’une infraction criminelle ont droit aux services d’aide incluant la réhabilitation psychothérapique ou psychosociale (sans limite de séances), la réadaptation physique, l’aide palliant la perte de revenu, notamment », dit-elle.

Si, au bout de la période de trois ans, le parent d’un enfant qui a perdu la vie démontre par une évaluation de santé qu’il a des limitations ou des séquelles qui l’empêchent toujours d’occuper un emploi, il pourrait être admissible à une aide financière supplémentaire palliant la perte de revenu d’une durée de deux ans, note-t-elle.

« Le régime de l’IVAC permet chaque année à des milliers de personnes victimes d’entamer un processus de guérison et il constitue le régime le plus généreux au Canada, toutes provinces réunies. »

Iniquités apparentes

Marc Bellemare, ancien ministre de la Justice et avocat spécialisé dans le domaine des accidents de la route et des victimes d’actes criminels, note que la refonte de la loi a causé des iniquités qui commencent tout juste à être apparentes.

Ça permet à plus de victimes d’être acceptées, notamment des victimes de harcèlement psychologique ou de leurre informatique. Mais les victimes ont maintenant des pinottes.

 Me Marc Bellemare, avocat spécialisé dans le domaine des accidents de la route et des victimes d’actes criminels

Avant, les prestations étaient à vie, note MBellemare.

« Mais le ministre Jolin-Barrette a insisté pour ramener ça à trois ans. C’est complètement arbitraire, sans aucun fondement scientifique. Trois ans, c’est vite passé pour quelqu’un qui vit un deuil post-traumatique, ou qui a vécu un traumatisme crânien. C’est la seule loi d’indemnisation au Québec qui est limitée de la sorte. »

La réforme est entrée en vigueur en octobre 2021. Des victimes d’actes criminels vont donc commencer à perdre leurs paiements en 2024, dit-il. « En octobre 2024 et en 2025, les victimes vont crier. Les coupures vont arriver. »

 

Drame de la garderie de Laval | « Les parents doivent se battre pour tout » | La Presse