«Ma vie est fuckée»: sa femme tuée par un automobiliste qui ne contrôlait pas son diabète

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PHOTOS AGENCE QMI, MAXIME DELAND ET FOURNIE PAR ALAIN HOGUELe véhicule de Mme Bergeron après l’impact, le 15 février 2022.

Un veuf ne décolère pas, puisque l’automobiliste qui a tué sa femme dans une violente collision l’an dernier est libre comme l’air et ne fait l’objet d’aucune accusation, alors qu’il contrôlait mal son diabète avant l’accident.

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«Il ne voulait pas la tuer, mais il l’a tuée! confie Alain Hogue. Au moins, enlevez-lui son permis! […] Je ne veux surtout pas qu’il tue quelqu’un d’autre!»

«C’est de la négligence criminelle», rage l’informaticien de 61 ans, qui «vit très mal avec ça».

Alain Hogue, 61 ans, n’accepte pas que le conducteur diabétique qui a tué sa femme Mylène Bergeron l’an dernier n’ait pas fait l’objet d’accusations de négligence et qu'il ait seulement perdu son permis de conduire pendant quatre mois.

PHOTO HÉLOÏSE ARCHAMBAULT
Alain Hogue, 61 ans, n’accepte pas que le conducteur diabétique qui a tué sa femme Mylène Bergeron l’an dernier n’ait pas fait l’objet d’accusations de négligence et qu’il ait seulement perdu son permis de conduire pendant quatre mois.

 

Le 15 février 2022, la vie de ce Lavallois a tragiquement basculé. Sa femme des 30 dernières années, Mylène Bergeron, a été heurtée mortellement sur l’autoroute 25, à Montréal, par un automobiliste qui a traversé un terre-plein à 52 km/h. Il n’a jamais freiné.

Peu avant l’accident, des caméras de surveillance ont capté le véhicule, qui circulait «de façon erratique», a noté le rapport du coroner, récemment diffusé. À un moment, il frottait sur les parapets de ciment séparant les voies.

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PHOTO AGENCE QMI, MAXIME DELAND

 

«Ma vie est fuckée»

Enseignante, la mère de deux enfants de 55 ans qui se rendait au travail n’a eu aucune chance. Projets de voyage, retraite au chalet: tous les rêves du couple sont partis en fumée.

«Ma vie est fuckée à cause de ça, confie M. Hogue. Il y a quelqu’un qui m’a volé ma femme.»

Le coroner souligne que le conducteur fautif était en hypoglycémie et qu’il n’a aucun souvenir de l’accident. Hospitalisé après la collision, l’homme diabétique depuis 1998 a dit «avoir éprouvé certaines difficultés à stabiliser sa glycémie dans les derniers mois, particulièrement durant la nuit», lit-on.

Or, il ne se souvenait pas d’avoir éprouvé des symptômes d’hypoglycémie le matin de l’accident, et s’était administré une dose d’insuline à action prolongée avant de quitter son domicile.

Les personnes diabétiques ne doivent pas conduire à moins de respecter des conditions de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

La SAAQ pas informée

Selon le coroner, le conducteur fautif avait consulté deux fois en urgence à l’hôpital pour des épisodes d’hypoglycémie (syncope et perte de conscience), en 2015 et 2017. Or, aucune déclaration n’avait été faite à la SAAQ, écrit le coroner.

Il ajoute que «ce conducteur aurait dû faire l’objet d’une demande d’évaluation sur une base annuelle» à la SAAQ. Selon lui, cela aurait permis de «détecter certains risques liés à des épisodes d’hypoglycémie non déclarés».

Après l’accident, le conducteur a vu son permis être suspendu quatre mois. Selon le coroner Lépine, cette période doit être allongée «de façon substantielle» dans les cas de décès ou d’accidents graves.

Aucune autre sanction n’a été imposée. La Sûreté du Québec confirme que le dossier est clos, et il n’a pas été soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Pour M. Hogue, tout ceci n’a aucun sens.

«Tous les diabétiques ne sont pas dangereux, mais ceux qui ne contrôlent pas leur glycémie sont dangereux! dit l’homme, qui compte poursuivre les démarches pour obtenir justice. Il doit y avoir du mordant, un contrôle.»

«Mon monde s’est écroulé. Ma femme aimait tellement voyager, on avait plein de projets.»

CONDUIRE EN ÉTANT DIABÉTIQUE:

Le diabète est incompatible avec la conduite d’un véhicule routier, sauf si la personne:

  • N’a eu aucun épisode d’hypoglycémie en état d’éveil entraînant une altération de la conscience et nécessitant l’intervention d’une tierce personne depuis trois mois;
  • Démontre une bonne compréhension de sa maladie;
  • Fait l’objet d’un suivi médical pour son diabète.

Tout automobiliste qui a un changement de santé qui peut affecter sa capacité de conduire doit avertir la SAAQ dans un délai de 30 jours.

La SAAQ peut maintenir le permis ou le suspendre, chaque cas est évalué individuellement

*Source: SAAQ

 

LES RÈGLES DOIVENT ÊTRE RESSERRÉES

La conduite automobile des gens atteints de maladies comme le diabète doit être mieux encadrée pour éviter d’autres drames, croit un coroner qui veut obliger les médecins à dénoncer les patients inaptes à conduire.

Le respect des conditions de conduite chez les diabétiques (et pour d’autres maladies) ne fait pas l’objet d’une vérification systématique par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Conséquences importantes

Cela repose surtout sur une déclaration volontaire au renouvellement de permis. Le coroner Éric Lépine, qui a enquêté après la mort de Mme Bergeron, recommande d’obliger les professionnels de la santé à signaler l’inaptitude à conduire d’un patient pour une raison de santé, à la SAAQ.

«Les conséquences de la conduite […] par une personne au diabète mal contrôlé sont beaucoup trop importantes pour rendre facultatif ce signalement», écrit-il.

«Il faudrait qu’il y ait des sanctions plus sévères. Il y a beaucoup de gens qui circulent sur la route et qui ont des problèmes de santé et qui ne le déclarent pas», réagit Me Marc Bellemare, spécialisé dans ces dossiers.

M. Lépine ajoute que la SAAQ devrait réévaluer le système administratif des suivis médicaux qui s’appliquent aux diabétiques. D’ailleurs, l’association Diabète Québec constate que les règles ne sont pas toujours bien suivies.

«Le patient a une responsabilité de se renseigner, mais c’est sûr que beaucoup de gens ont peur de perdre leur permis de conduire, c’est un gros morceau, dit Valérie Savard, nutritionniste chez Diabète Québec. Peut-être que certains sont réticents à discuter de cet aspect-là.»

En 2022, 15 313 diabétiques ont effectué un avis de changement dans leur santé à la SAAQ, et 117 automobilistes ont vu leur permis être suspendu.

Jugement clinique

L’Association des médecins d’urgence du Québec souligne que le jugement clinique est important, et que la plupart des patients écoutent les recommandations de ne pas conduire.

«De tous les patients qu’on voit, la plupart, on les retourne à la maison et ils n’ont pas de problème», dit Dr Gilbert Boucher, président.

https://www.journaldemontreal.com/2023/03/27/ma-vie-est-fuckee-sa-femme-tuee-par-un-automobiliste-qui-ne-controlait-pas-son-diabete