Morts dans la tempête: la famille d’une victime envisage de poursuivre la SQ

La famille de Pierre Thibault, un des deux hommes qui sont morts dans la tempête de neige près de Montmagny, l’an dernier, envisage de poursuivre la Sûreté du Québec et réclame des excuses du premier ministre Philippe Couillard pour la lenteur des secours.

MARC ALLARD – Le Soleil
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Valérie Tanguay allait bientôt se fiancer quand son amoureux Pierre Thibault est mort en compagnie de son ami Michaël Fiset, intoxiqué au monoxyde de carbone dans une camionnette ensevelie sous la neige, le 15 mars 2017, près de Montmagny.

Mardi après-midi, un peu plus d’un an après la tragédie, Mme Tanguay se tenait devant des micros à côté de la soeur de Pierre Thibault, Marilyne Thibault, et de l’avocat Marc Bellemare, dans un bureau de Québec. Ils réagissaient au rapport du coroner publié le matin même sur la mort des deux hommes.

«J’ai vécu quatre ans avec Pierre, on avait même un projet de mariage. On allait se fiancer dans les jours suivants, a-telle dit. […] Mais malheureusement, Pierre est décédé à cause des mesures d’urgence et de sauvetage du gouvernement du Québec qui n’étaient pas à la hauteur», a-t-elle dit.

La famille de Pierre Thibault envisage maintenant de poursuivre l’État québécois pour la lenteur des secours et exige des excuses du premier ministre Philippe Couillard.

Elle estime que le délai de deux heures qui s’est écoulé avant que la Sûreté du Québec parte à la recherche des deux victimes en motoneige a contribué à diminuer significativement leurs chances de survie.

«La police a failli lamentablement dans sa responsabilité d’assurer le secours de deux individus en détresse», a dit l’avocat Marc Bellemare, qui représente la famille Thibault.

De son côté, la famille Fiset a tourné la page, a indiqué Me Bellemare.

La famille de Pierre Thibault déposera d’abord une demande d’indemnisation à la SAAQ. L’intoxication au monoxyde de carbone, qui a causé la mort des deux hommes selon le rapport du coroner, peut être considérée comme un accident automobile, a expliqué Marc Bellemare.

«Si la demande est acceptée, automatiquement, ça veut dire que la loi s’applique et qu’il n’y aurait pas de recours civil. Autrement, la perspective d’un recours civil contre la Sûreté du Québec et le ministère des Transports est toujours ouverte. On a trois ans pour agir», a dit Me Bellemarre, précisant que la famille de Pierre Thibault préférerait la deuxième option.

«Négligence et insouciance»

Deux éléments dans le rapport du coroner «témoignent de la négligence et de l’insouciance de la Sûreté du Québec dans le dossier», a affirmé Marc Bellemare.

D’abord, il s’est écoulé deux heures entre le premier appel au 9-1-1 de Pierre Thibault, à 23h18, et le départ des policiers motoneigistes de la SQ, à 1h20, en direction des deux hommes pris dans la tempête, a fait valoir l’avocat.

Les motoneigistes de la SQ «auraient dû être sur le bout de leur banc, à attendre les téléphones et décamper dès qu’ils recevaient l’appel. S’ils avaient quitté les lieux à 23h30, par exemple, Pierre Thibault aurait été sauvé», estime Me Bellemare.

La famille de Pierre Thibault blâme aussi la SQ de ne pas avoir réussi à géolocaliser les deux hommes avant 4h du matin, alors que M. Thibault avait contacté le 9-1-1 avec son cellulaire plus de quatre heures avant et que le rayon de localisation du véhicule était de 59 mètres2.

 Excuses réclamées

La famille de Pierre Thibault réclame par ailleurs des excuses du premier ministre du Québec, Philippe Couillard. «Le cafouillage sur l’autoroute 13 le même soir à Montréal a justifié des excuses du premier ministre Couillard à peine trois jours plus tard. Moi, j’attends toujours son appel pour la mort de mon conjoint», a dit Valérie Tanguay. «Aujourd’hui, je lui demande formellement des excuses pour les deux familles.»

La soeur de Pierre Thibault, Marilyne Thibault, a ajouté que sa famille n’avait jamais reçu d’excuses du premier ministre ou du ministère des Transports. Elle a dit que sa famille était «sous le choc» et «ébahie» par les conclusions du coroner, notamment à propos du délai de deux heures avant que les motoneigistes de la SQ portent secours à MM. Thibault et Fiset.

«Si les sauveteurs étaient sortis avant ça, probablement qu’on serait pas ici en ce moment», a dit Mme Thibault en conférence de presse.

La famille reconnaît que Pierre Thibault et Michaël Fiset ont sous-estimé le risque posé par la tempête en prenant la route quand même pour rentrer à la maison après le travail, comme l’a souligné le rapport du coroner. Mais elle estime que la Sûreté du Québec ne les a pas secourus dans un délai raisonnable.

La SQ n’a pas réagi, mardi, aux blâmes de la famille Thibault.

Dans son rapport, le coroner précise que le responsable du poste de Montmagny a commencé à former une équipe de motoneigistes pour se rendre au secours des deux hommes à 23h23. Mais un délai de deux heures a été nécessaire afin qu’un policier qualifié pour conduire une motoneige revienne au poste, se prépare et puisse partir en motoneige en équipe.

«Le fait d’avoir des véhicules pour répondre à des urgences est excellent, écrit Luc Malouin, mais si personne n’est présent pour conduire les véhicules, ils deviennent inutiles.» Or, dans la tempête qui sévissait ce jour-là, il était «simplement impossible pour ces policiers motoneigistes de revenir rapidement au poste», précise le coroner Malouin.

Monoxyde de carbone

Dans son rapport, Luc Malouin conclut que Pierre Thibault et Michaël Fiset sont morts intoxiqués au monoxyde de carbone.

«Probablement qu’ils ont dû faire marcher l’auto de façon aléatoire le temps de se réchauffer, puis ils ont arrêté l’auto. Mais ç’a été suffisant pour qu’il y ait suffisamment de monoxyde de carbone qui entre dans l’habitacle pour s’intoxiquer», a expliqué Me Malouin au Soleil.

Lorsque les corps ont été retrouvés, M. Thibault se trouvait à l’intérieur de la camionnette du côté conducteur, tandis que M. Fiset était à l’extérieur, près de la porte du conducteur. Leur véhicule était enseveli sous une lame de neige d’au moins trois mètres de haut.

Selon le rapport du coroner, les deux hommes se sont retrouvés coincés dans la tempête à la fois à cause des conditions climatiques extrêmes et parce qu’ils ont sous-estimé le danger.

Le coroner Malouin souligne que les deux hommes se sont fait conseiller par de nombreuses personnes de ne pas prendre la route, car la visibilité était nulle et les routes fermées. MM. Thibault et Fiset «auraient pu dormir sur les lieux de travail et demeurer en sécurité», écrit M. Malouin.

De plus, «M. Fiset se croyait en sécurité avec son camion. Il était convaincu que le fait d’avoir une traction intégrale lui permettrait de passer à travers la neige», ajoute le coroner Malouin.

Les deux hommes ont aussi été très malchanceux. La rue Principale, sur laquelle leur camionnette s’est enlisée, est propice à l’accumulation de neige par lames en raison de sa position perpendiculaire aux vents dominants.

«Lorsque la visibilité est très mauvaise, le conducteur se retrouve soudainement devant une telle lame et son véhicule s’enlise en une fraction de seconde», écrit Luc Malouin.

Le coroner Malouin estime que les deux hommes n’ont pas été plus imprudents que le Québécois moyen lors de la tempête, en pensant qu’ils seraient capables de la braver. Il espère que les gens se souviendront de rester là où ils sont lorsque le temps de déchaîne et que les routes sont fermées.

Et si, par malheur, leur véhicule se retrouve enseveli sous la neige, il a un conseil à donner : «il ne faut pas faire marcher l’auto, parce que le monoxyde de carbone est un tueur silencieux».