Un retard lui coûte son indemnisation
Réduite à vivre dans la rue après avoir été victime d’un des pires prédateurs sexuels du Québec qui a failli l’assassiner, une Montréalaise ne pourra pourtant pas être indemnisée, car elle a trop tardé à remplir un formulaire administratif.
Michael Nguyen | Agence QMI
http://www.tvanouvelles.ca/2018/03/17/elle-vit-dans-la-rue-apres-avoir-echappe-aux-griffes-dun-tueur
«La demande a été reçue 28 mois trop tard. De toute évidence, la requérante a renoncé à se prévaloir de l’indemnisation des victimes d’actes criminels en temps opportun», a tranché le Tribunal administratif du Québec (TAQ) au début du mois.
Dominique Martel, une ex-escorte maintenant sans-abri, ne recevra donc pas un sou du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), qui relève du ministère de la Justice du Québec.
La tentative de meurtre dont elle a été victime est survenue en octobre 2009. À l’époque, Mme Martel travaillait comme escorte lorsqu’elle s’était rendue chez Claude Larouche, qui l’avait payée pour parler de ses problèmes.
Traumatisme
Celui-ci s’était plaint de son «petit pénis» avant de sauter à la gorge de la femme. Il a ensuite tenté de l’étrangler, en plus de la frapper au visage.
Mme Martel a survécu, mais, traumatisée, elle a plongé dans la drogue et l’alcool au point de se retrouver sans-abri.
«Elle a tout perdu, elle recevait seulement des prestations d’aide sociale, reconnaît le TAQ dans sa décision. Elle n’avait pas d’amis et n’était pas capable d’aller chercher de l’aide. Elle aimerait retrouver une qualité de vie, récupérer son chez-soi.»
La victime a porté plainte à la police quelques semaines à la suite de la tentative de meurtre, après avoir appris que son agresseur avait aussi sauvagement assassiné Natasha Cournoyer, une employée des services correctionnels canadiens.
«Je l’ai fait aussi pour elle», avait confié Mme Martel au «Journal de Montréal», à l’époque.
Prison à vie
Larouche, 56 ans, a depuis écopé de la prison à vie, sans possibilité de libération avant 25 ans, pour le meurtre prémédité de Mme Cournoyer. Il a ensuite été déclaré délinquant dangereux avec une peine à durée indéterminée pour la tentative de meurtre sur Mme Martel.
Le TAQ affirme que cette sentence a été prononcée en juin 2014, mais l’audience s’est en réalité déroulée le mois d’avant.
Mme Martel avait un an à partir de décembre 2011 pour remplir le formulaire, avaient tranché les fonctionnaires.
Comme le document a été complété le 2 mai 2014, des employés de l’État ont «présumé» que Mme Martel ne voulait pas d’argent. Les juges administratifs Daniel Lagueux et Alexandre Crich ont cimenté cette décision, malgré l’avis d’un psychiatre.
«Madame a vécu dans un état de déni et d’intoxication aux drogues et à l’alcool qui la rendait complètement […] incapable d’évaluer les conséquences psychologiques de son agression et qui l’empêchait également […] d’entreprendre des démarches», avait écrit le psychiatre.
Contacté par «Le Journal», l’avocat de Mme Martel assure qu’il portera la décision en appel. Et il compte bien prouver que malgré les délais, compte tenu de l’état de la victime, elle mérite d’être indemnisée.
«On ne la lâchera pas, c’est certain», a assuré Me Bruno Messier-Bellemare.Une décision «inhumaine», dit le sénateur Boisvenu
Pour le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, la décision de ne pas indemniser Dominique Martel en raison d’un délai dépassé est tout simplement «inconcevable et inhumaine».
«C’est indécent de la part de l’IVAC [le régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels], s’insurge-t-il. Ça n’a aucun sens, c’est totalement inhumain, injuste et immoral. Il faut le dénoncer.»
Le sénateur, qui a fait du droit des victimes un de ses chevaux de bataille, rappelle que le ministère de la Justice avait pourtant affirmé que les délais pour déposer une demande d’indemnisation seraient revus.
Délai légal
Le délai d’un an a été augmenté à deux en 2013, mais le changement n’est pas rétroactif. Mme Martel qui a failli être tuée par le meurtrier Claude Larouche en 2009, n’avait donc pas le luxe d’attendre, malgré sa détresse psychologique et le fait qu’elle se soit retrouvée abandonnée et à la rue.
Mais même si elle avait pu profiter de l’extension du temps d’attente, cela n’aurait rien changé puisqu’elle a eu 28 mois de retard, soit quatre de plus que le nouveau délai permis par la loi.
Le tribunal administratif, qui a reconnu qu’elle avait subi un traumatisme grave et qu’elle était depuis à la rue, a donc refusé de l’indemniser.
«Quand on regarde la situation personnelle de madame, je ne comprends pas du tout la décision», a-t-il évoqué.
La ministre blâmée
Le sénateur Boisvenu n’hésite pas à blâmer la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, qu’il tient pour responsable des règlements qui font en sorte que Mme Martel ne sera pas indemnisée.
Pourtant, dans un dossier comme celui-ci, les fonctionnaires auraient dû être «doublement sympathiques», compte tenu de la violence du crime qu’elle a subie, affirme M. Boisvenu.
«Le gouvernement victimise à nouveau les victimes, c’est lui qui est à blâmer», croit le sénateur.
Il déplore d’ailleurs que dans les causes criminelles, les accusés aient droit au doute raisonnable. Mais quand vient le temps à une victime de demander à être indemnisée, elle n’a pas ce droit-là.
«Ces gens-là ne comprennent pas», conclut-il en disant espérer une issue favorable à toute cette affaire pour la victime.