Une indemnité de 600 $ pour l’assassinat de sa fille

Près de 30 ans après l’assassinat de sa fille, une résidente de Québec dit souffrir « le martyre » et souhaite rouvrir son dossier pour obtenir une indemnisation supérieure aux maigres 600 $ qui lui avaient été versés à l’époque.

ARNAUD KOENIG-SOUTIÈRE / Journal de Québec
http://www.journaldequebec.com/2018/05/31/une-indemnite-de-600–pour-lassassinat-de-sa-fille
http://www.tvanouvelles.ca/2018/06/01/encore-de-lourdes-sequelles-30-ans-apres-le-meurtre-de-sa-fille

Céline Barbeau est la mère de Johanne Renaud, dont l’assassinat a défrayé la manchette au début des années 90.

La femme de 19 ans, qui poursuivait ses études pour devenir journaliste, a été battue, mordue au visage et étranglée à mort par celui avec qui elle partageait sa vie dans un appartement de Charlesbourg.

« Johanne, ce n’était pas son genre d’aller trop vite. Mais j’ai l’impression qu’elle s’est laissée envelopper de paroles douces. Ç’a fini qu’il lui a enlevé la vie », déplore aujourd’hui la mère.

Elle veut un diagnostic

Mais elle se rappelle aussi des maigres 600 $ que lui a versés le Programme d’indemnisation aux victimes d’actes criminels (IVAC), un montant qui couvrait à peine 10 % des frais funéraires.

Avec l’aide de Me Marc Bellemare, la dame ira quérir l’avis d’un professionnel d’ici peu pour connaître sa situation et tenter d’obtenir une indemnisation plus généreuse.

« Elle souffre probablement de stress post-traumatique, estime son avocat. C’est seulement avec un diagnostic qu’on va pouvoir entamer des démarches auprès de l’IVAC. »

Aucune aide

Quelques jours après le drame, la mère éplorée avait dû vider elle-même l’appartement de sa fille, où des traces de sang étaient toujours bien apparentes.

« Les deux mains dans la scène de crime », se désole Me Bellemare. Malgré tout ce qu’elle a traversé, Céline Barbeau certifie qu’elle n’a eu accès à aucun soutien psychologique.

« Je n’ai pas eu d’aide. Nulle part. C’est sûr que ça m’aurait aidée. Si au moins j’avais quelqu’un qui m’écoutait, ce serait au moins ça », laisse-t-elle tomber, la gorge nouée par l’émotion.

« Ça fait 28 ans que je souffre le martyre à l’intérieur, ajoute-t-elle, disant vivre des troubles du sommeil et un stress constant. Je vis beaucoup de choses à l’intérieur et je n’ose pas trop parler. Je ne veux pas tanner le monde avec mes affaires. J’essaie de m’organiser par moi-même. »

L’homme a été condamné à huit ans de pénitencier pour homicide involontaire coupable. Il n’aura finalement purgé que le tiers de sa peine avant d’obtenir une libération conditionnelle totale, la Commission nationale des libérations conditionnelles l’« encourageant » à se prévaloir de l’aide à sa disposition « au moindre signe » de « stress anxiogène ».

À l’abribus

Céline Barbeau se rendait déposer des fleurs sur la tombe de sa fille, à L’Ancienne-Lorette, lorsqu’elle a constaté, bien malgré elle, que l’homme n’était plus derrière les barreaux. La mère de la défunte a croisé son regard près d’un abribus tandis qu’elle conduisait. Distraite, mais surtout stupéfaite, elle se souvient avoir embouti son véhicule.

« Quand tu rencontres quelqu’un que tu aimes beaucoup, tu vas lui sauter au cou. Mais quand tu fais face au meurtrier de ta fille, tu fais quoi ? », lance-t-elle, ignorant maintenant où se trouve celui qui a enlevé la vie de sa fille.

DES JUGEMENTS RÉCENTS LUI DONNENT ESPOIR

Des jugements récents qui ont élargi l’interprétation de la notion de victime donnent espoir à Céline Barbeau de voir son dossier réévalué et d’obtenir potentiellement des milliers de dollars.

Depuis cinq ans, la définition de « victime » a été élargie par les tribunaux de manière à y inclure le parent d’un enfant assassiné par un ex-conjoint.

Le gouvernement Couillard avait accepté, il y a tout près d’un an, d’aller en ce sens pour élargir la notion de victime, en plus de donner suite à une trentaine de recommandations émises par le Protecteur du citoyen en 2016.

C’est sur ces fondements que Céline Barbeau et Marc Bellemare comptent soutenir leur recours auprès de l’IVAC, malgré le fait que le drame remonte à près de 30 ans et que l’auteur de l’homicide ne soit pas l’un des deux parents.

« Un assassinat, ça cause des dommages. Ceux qui restent, ils sont traumatisés », pointe Me Bellemare.

Différent en 2018

Si le meurtre de sa fille était survenu en 2018 plutôt qu’en 1990, Céline Barbeau aurait perçu une indemnité de loin supérieure à 600 $, estime Me Bellemare.

Il s’agissait bien « de l’indemnité applicable en 1990 », précise l’avocat. Mais la réalité d’aujourd’hui aurait permis à Mme Barbeau d’espérer un montant beaucoup plus généreux qui se chiffrerait dans les dizaines de milliers de dollars, avance le juriste.

Mal informés

L’ex-ministre de la Justice estime que le programme « s’est amélioré » depuis 2013, mais que la définition de victime – « la même depuis 1972 », insiste-t-il – est interprétée étroitement par « des fonctionnaires déconnectés de la réalité et des victimes ».

« Ils disent des mensonges répétitifs aux victimes, accuse-t-il. Le problème avec l’IVAC, c’est que les gens ne sont pas informés de leurs droits. »