Une victime d’Irène révoltée de ne pouvoir poursuivre Transports Québec
22/11/2011 08h15
Stevens Gravel et sa conjointe Claudine Émond sont révoltés de ne pouvoir recevoir aucune compensation à la suite de l’accident qui a chamboulé la vie de M. Gravel.
Pierre Rochette, collaboration spéciale
Publié par : Sylvain Desmeules, collaboration spéciale
Le Soleil
(La Malbaie) Transports Québec a-t-il une part de responsabilité dans l’accident de Stevens Gravel, dont le véhicule s’est engouffré dans une crevasse dans Charlevoix lors de la tempête Irène le 29 août? Cette question demeurera sans réponse, en raison de l’assurance sans égard à la faute (no-fault).
«Transports Québec a-t-il fait ce qu’il fallait ce soir-là? Avait-il assez d’effectifs? Aurait-il dû fermer la route? Aurait-il dû être au bon endroit au bon moment? Pour évaluer cette responsabilité, il faudrait poursuivre le Ministère, mais on ne peut pas en raison du no-fault», déplore la conjointe de M. Gravel, Claudine Émond.Trois mois après l’accident, Stevens Gravel est toujours en fauteuil roulant, cinq jours par semaine en réadaptation. Une série d’opérations est prévue pour retirer les tiges de fer dans ses jambes et de son dos. Et c’est sans compter sa dose quotidienne de 18 pilules.
«C’est un châtiment pour quelqu’un qui aime la vie», laisse-t-il tomber au Soleil en racontant sa «nouvelle» vie.
«Ma vie, c’était de travailler, de pêcher, d’aller dans le bois. Tout ça, c’est fini pour moi. J’ai des séquelles permanentes. Mais pour les autres, faudrait changer la loi», implore l’homme de 41 ans, incapable de retenir quelques larmes. Son seul réconfort, c’est que l’accident dont il a été victime n’a pas blessé d’enfants.
Rappelons que M. Gravel voyageait avec un ami, Jean-François Hovington, qui se remet lui aussi péniblement de ce drame. La voiture avait plongé dans un gouffre après que la route se fut affaissée, à la hauteur de Saint-Siméon dans Charlevoix. Prisonniers de leur voiture en flammes, les deux hommes avaient été secourus in extremis par des camionneurs et des automobilistes qui suivaient.
Rencontre avec Moreau?
Le couple Gravel-Émond avait évalué les dommages à entre 5 et 7 millions $. Insatisfait des explications de Transports Québec, qui soutient avoir fait ce qu’il devait, le couple demande à rencontrer le ministre Pierre Moreau, «pour lui dire que la loi n’a pas de bon sens».
«C’est frustrant de ne pas savoir s’il y a une justice dans cette histoire, dit Mme Émond. Quand on m’a dit que je ne pouvais pas poursuivre, je me suis sentie comme une femme agressée sexuellement, qui connaît son agresseur, mais qui ne peut rien faire.»
«On paye pour embarquer sur le chemin. On est censé avoir des routes sécuritaires qui tiennent le coup. À ce compte, pourquoi je paye des assurances?» questionne M. Gravel. Mme Émond est aussi estomaquée d’avoir reçu, deux semaines après l’accident, une facture de 1900 $ de la municipalité de Saint-Siméon pour son intervention du 29 août. Son conjoint n’était alors toujours pas sorti du coma.
Bellemare dans le dossier
«C’est un dossier bien monté au niveau des possibles négligences du ministère des Transports, sur le nombre de patrouilleurs qui circulaient ce soir-là, mais ils ne peuvent pas poursuivre en raison du no-fault», confirme l’avocat Marc Bellemare, dont les modifications à cette loi sont un cheval de bataille depuis belle lurette. Pour lui, la loi fournit l’échappatoire voulue pour négliger ses responsabilités.
«Ça crée un contexte où il n’y a pas beaucoup d’incitatifs pour le Ministère à mettre des effectifs nécessaires ou corriger des lacunes.»
Le no-fault, en vigueur depuis 1978, s’applique aux automobilistes impliqués dans un accident, mais aussi aux constructeurs de voitures et de routes. Le dernier jugement, datant de 1976, avait permis à un Gaspésien d’arracher 3 millions $ au gouvernement.
«En 30 ans, il y a eu de nombreuses victimes qui ont essayé de poursuivre, mais qui n’ont jamais réussi», dit M. Bellemare, qui conserve l’espoir de modifier un jour cette loi.