Coussins gonflables défectueux et no-fault

Malade chronique après avoir été brûlée au visage par un coussin gonflable défectueux il y a plus de 20 ans, une Québécoise lance un appel à l’aide sur l’internet. « Partout au monde, j’aurais pu poursuivre le constructeur. Sauf au Québec », dit-elle.

NICOLAS BÉRUBÉ – Source: LA PRESSE

Une chute de neige en mai. Pour la moyenne des Québécois, c’est une occasion de rouler des yeux et de faire des blagues sur Facebook. Pour Nancy Leblond, c’est la cause d’une douleur intenable au visage, douleur qui l’a récemment envoyée aux urgences de l’hôpital de l’Enfant-Jésus, à Québec, pour la énième fois en 20 ans.

« J’ai vomi au moins 30 fois sans arrêt, dit-elle. Mes pulsations cardiaques passaient de 63 à 91, sans arrêt. Ils m’ont fait trois piqûres de morphine ce soir-là, et ç’a pris trois jours avant que la douleur baisse. Ça fait 20 ans que c’est comme ça. Mon cœur est fatigué. »

Nancy Leblond n’est pas atteinte d’une maladie rare ou incurable. Elle compose avec les séquelles d’un coussin gonflable défectueux qui lui a éclaté au visage le 18 décembre 1995.

Ce soir-là, l’étudiante de l’Académie internationale de la mode et du design de Montréal, alors âgée de 21 ans, était passagère dans une voiture GM. Dans une rue résidentielle de Montréal, la conductrice a perdu la maîtrise de sa voiture et a heurté à basse vitesse un véhicule stationné.

« Le coussin gonflable devant moi s’est déployé. Mais il ne s’est pas gonflé. J’ai plutôt reçu en plein visage un gaz dont la température était à 200 degrés. »

— Nancy Leblond

Brûlée au deuxième degré au visage et dans les narines par une substance chimique, Nancy Leblond a été hospitalisée. Elle comprendra peu après que ses brûlures ne guériront jamais.

« Le froid sur mon visage provoque des douleurs impossibles à décrire. Les changements de température, du chaud au froid, sont les pires. »

Mme Leblond a été opérée plusieurs fois à la mâchoire, sans succès. En 2004, son médecin a confirmé qu’elle était inapte à travailler et qu’elle souffrait de séquelles graves, chroniques et irréversibles.

Ailleurs en Amérique du Nord, Nancy Leblond aurait pu intenter des poursuites civiles contre GM. Mais pas au Québec, où le régime sans égard à la responsabilité (no-fault, en anglais) interdit cette démarche.

Pour l’avocat et ex-ministre de la Justice du Québec Marc Bellemare, le cas de Mme Leblond montre à quel point la loi adoptée en 1978 produit des absurdités que ses auteurs n’avaient pas anticipées.

« Depuis des années, on voit au Québec toutes sortes de situations loufoques, comme un fabricant automobile qui est protégé par le no-fault. C’est complètement aberrant. »

« À l’extérieur du Québec, les recours civils sont évidents et ils sont exercés avec succès… En fait, si j’étais président d’un grand fabricant automobile, c’est au Québec que je viendrais tester mes nouveaux produits. »

— Me Marc Bellemare

« ÇA DÉFIE TOUTE LOGIQUE »

La loi sur le régime sans égard à la faute est entrée en vigueur le 1er mars 1978. À l’époque, l’idée était de désengorger les tribunaux et de mieux indemniser les Québécois victimes d’accidents de la route.

« L’idée, c’était de gérer le cas où monsieur A ne respecte pas le feu rouge et emboutit la voiture de monsieur B, dit Me Bellemare. Pas mal tout le monde était en faveur de la loi, sauf le Barreau et les assureurs automobiles. »

Me Bellemare remarque que les litiges contre la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) envoient aujourd’hui de plus en plus de Québécois devant le tribunal administratif du Québec, où les délais de traitement sont extrêmement longs et où les gens doivent payer des honoraires d’avocat.

« Avant, on poursuivait l’automobiliste incompétent. Aujourd’hui, on poursuit la SAAQ. On a déplacé le problème. »

— Me Marc Bellemare

Me Bellemare estime que, près de 40 ans après son adoption, la loi a besoin d’être révisée.

« Des cas de sacs gonflables qui explosent pour rien et qui blessent les gens, j’en ai vu des centaines au bureau. Pourquoi on protège les fabricants automobiles au Québec ? Ça défie toute logique. »

Gino Desrosiers, porte-parole de la SAAQ, remarque que les prestations de remplacement de salaire sont versées aux victimes en fonction de leur revenu ou de leur potentiel de revenu au moment de l’accident.

« Le régime étant un régime sans égard à la faute, il n’y a pas de possibilité de poursuite », dit-il, ajoutant que Mme Leblond touche une indemnité et que son conjoint en touche aussi une en tant qu’aidant.

Nancy Leblond explique que ces indemnités correspondent au salaire minimum, qu’elle et son conjoint touchent sans ponction d’impôts.

Sa santé se détériore rapidement, dit-elle. Elle sort peu de chez elle durant la saison froide et craint les changements brusques de température. « Je prends un cocktail de 30 comprimés simplement pour être capable de passer au travers d’une journée », dit-elle.

Son souhait le plus cher serait de déménager dans un endroit chaud et sec, le seul climat qui peut atténuer la douleur. L’hiver, elle essaie de quitter le Québec, mais ses moyens limités sont un obstacle.

« Si je vivais dans un endroit chaud et sec, je pourrais diminuer ma médication. C’est pour ça que j’ai lancé mon site internet pour recueillir les dons et pour recueillir les signatures des gens qui veulent faire modifier le régime du no-fault. »

Pourquoi le gouvernement ne modifie-t-il pas le régime sans égard à la faute ?

Selon l’avocat et ex-ministre de la Justice du Québec Marc Bellemare, c’est parce qu’il est le « premier bénéficiaire » de ce régime que le gouvernement du Québec ne souhaite pas le modifier.

Une modification à la loi pourrait permettre des recours contre le gouvernement lorsque des structures s’effondrent et blessent ou tuent des gens, comme le pont d’étagement du Souvenir, qui a fait un mort en 2000, et celui de la Concorde, dont l’effondrement a fait cinq morts et six blessés en 2006.

« Les gens vont commencer à dire au gouvernement :  “Quand les ponts et les viaducs tombent, comment ça se fait que vous ne soyez pas responsable de l’accident ?” Il y a 5 à 10 % des accidents de la route au Québec qui sont reliés à l’incompétence du réseau routier. Ça représenterait pour l’État québécois des coûts considérables », dit MeBellemare.