Indemnisation des victimes : « On aurait besoin que l’IVAC nous tienne par la main »

Gabriel Poirier/ICI Abitibi-Témiscamingue

 

Un peu plus d’un an après la réforme du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), des victimes et des intervenants estiment qu’il demeure éprouvant d’obtenir de l’aide. Le ministère de la Justice du Québec promettait pourtant de placer les victimes « au cœur du processus ».

Johanie Bellemare St-Georges dans l'entrée du palais de justice de Rouyn-Noranda.

Johanie Bellemare St-Georges dit qu’elle a dû se montrer entreprenante auprès de l’IVAC pour obtenir les sommes auxquelles elle avait droit.

 

Johanie Bellemare St-Georges est aujourd’hui reconnue comme une victime d’actes criminels par l’IVAC, un statut qu’elle décrit comme chèrement acquis. « J’ai eu l’impression d’être seulement un numéro et qu’on voulait juste appliquer des règles strictes à mon dossier, confie-t-elle. Je me compte tout de même chanceuse de toute l’aide que j’ai reçue. »

L’infirmière Amélie Mercier, elle, a longtemps refusé de se considérer comme une victime. Elle refuse toutefois de blâmer le régime de l’IVAC.

Le système de justice ne m’a peut-être pas aidée à punir la personne qui a commis un acte criminel à mon endroit, mais il m’a quand même aidée à cheminer, dit-elle. À guérir. L’IVAC a tout changé dans mon cas. Je suis extrêmement reconnaissante envers ce programme.

Deux victimes, deux réalités. Les cas de Johanie et d’Amélie offrent un aperçu de l’éventail des quelque 15 000 demandes d’indemnisation que l’IVAC a reçues entre octobre 2021 et octobre 2022.

Fondé en 1972, le régime de l’IVAC a été réformé en octobre 2021 avec la promesse de remettre les personnes victimes d’infractions criminelles au cœur du processus, selon un communiqué du ministère de la Justice. Si le nombre d’indemnisés augmente, certains, comme Johanie Bellemare St-Georges, aimeraient être mieux accompagnés et conseillés.

Besoin d’être écouté

Johanie Bellemare St-Georges est assise sur un fauteuil près d'une bibliothèque.

Même si elle est reconnaissante de recevoir des prestations de l’IVAC, Johanie Bellemare St-Georges souhaitait obtenir des indemnités dans le cadre du procès devant jury de son agresseur allégué, à l’automne 2022.

PHOTO : RADIO-CANADA / MATHIEU OUELLETTE

Johanie Bellemare St-Georges, dont le dossier est réputé complexe, rappelle qu’elle a dû se montrer entreprenante pour obtenir les sommes auxquelles elle avait droit. Outre la difficulté d’être écoutée et de bénéficier d’un accompagnement personnalisé et adapté à sa situation, elle déplore les temps d’attente au téléphone et les délais de traitement associés à son dossier.

L’ancienne protectrice du citoyen Raymonde Saint-Germain a publié en 2016 un rapport spécial pour exposer les lacunes du régime gouvernemental. Son successeur, Marc-André Dowd, rappelle dans le plus récent rapport du Protecteur du citoyen(Nouvelle fenêtre) que la direction générale de l’IVACapplique parfois ses propres critères d’attribution d’aide financière de façon restrictive, privant des victimes d’un soutien essentiel à leur rétablissement.

Johanie Bellemare St-Georges dans l'entrée du palais de justice de Rouyn-Noranda.

Johanie Bellemare St-Georges plaide pour une meilleure coordination entre l’IVAC et les différents organismes qui soutiennent les victimes.

PHOTO : RADIO-CANADA / MATHIEU OUELLETTE

Johanie Bellemare St-Georges, qui affirme avoir été contrainte de tatouer sur une partie intime de son corps le surnom de son agresseur allégué, prétend par exemple avoir pleuré au téléphone pour obtenir le remboursement de ses séances de détatouage.

Ça n’a pas été accepté du premier coup. Quand j’en ai parlé à l’intervenante de l’IVAC, elle m’a dit : « Ah non, ça, on ne rembourse pas […] Nous allons passer par la psychothérapie pour t’aider à accepter le tatouage et à vivre avec ». J’étais tellement insultée, raconte Mme Bellemare St-Georges. L’intervenante s’est ensuite rendu compte que la règle qu’elle essayait de suivre n’avait pas de bon sens.

Des bouts de papier avec des mots comme « honte » et « lourdeurs sur mes épaules » sont rassemblés et collés sur un mur.

Les victimes qui fréquentent le Point d’appui de Rouyn-Noranda peuvent consigner les conséquences de leur agression sur une figure grandeur nature.

PHOTO : RADIO-CANADA / GABRIEL POIRIER

Une réforme, deux interprétations

Selon le protecteur du citoyen et selon l’ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, la réforme de l’IVAC s’apparente à un verre d’eau. Excepté qu’il est à moitié plein pour l’un et à moitié vide pour l’autre.

Par courriel, le premier considère qu’elle témoigne d’une volonté de mieux reconnaître à la personne victime d’une infraction criminelle le droit à une assistance appropriée. Extension des crimes contre la personne, élargissement de la notion de victime, prolongation ou abolition des délais pour soumettre une demande d’indemnisation… autant d’aspects accueillis favorablement par l’institution, malgré la persistance de certaines lacunes.

Le second, qui représente des victimes lésées devant les tribunaux, assure pour sa part qu’elle ne change rien. Il décerne à l’IVAC le prix citron des organismes publics. Ça devrait être le contraire. On devrait offrir de l’écoute, de la compassion, des intervenants humains, souligne-t-il. L’IVAC traite avec une clientèle très particulière. Il faut avoir été victime d’un crime contre la personne. Agression sexuelle, tentative de meurtre, voies de fait, des crimes graves qui causent des dommages permanents.

Me Bellemare dénonce lui aussi l’encadrement qu’offre l’IVAC aux demandeurs d’indemnités. Il décrit les agents comme froids et peu empathiques, une situation qui perdurait malgré la réforme d’octobre 2021.

Marc Bellemare accorde une entrevue à la journaliste de Radio-Canada Camille Simard dans les bureaux de Bellemare avocats, sur la rue du Marais, à Québec.

Le cabinet de Marc Bellemare, Bellemare avocats, représente des citoyens victimes d’accidents de la route, d’accidents de travail et d’actes criminels. (Photo d’archives)

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L’un des nœuds du problème réside, selon lui, dans la centralisation des services de l’IVAC au 1199, rue De Bleury, à Montréal.

C’est la raison pour laquelle j’ai des clients à Rouyn-Noranda, à Gaspé, à Drummondville. Ils sont indemnisés depuis 10 ans, mais ils n’ont jamais rencontré le fonctionnaire qui s’occupe de leur dossier. La qualité des services est bien moindre, insiste-t-il. C’est très déshumanisé. On parle à des boîtes vocales, des agents ne rappellent pas. Sans compter le roulement extrêmement important de fonctionnaires responsables des dossiers.

Outre les compétences des agents de l’IVAC et la centralisation des services, Me Bellemare critique les changements apportés par la réforme aux indemnités de remplacement de revenu. Il admet que la réforme indemnise plus de victimes, mais ajoute que celles déclarées inaptes au travail peuvent perdre leur prestation après à peine trois ans.

Le protecteur du citoyen regrette de son côté des inégalités qui persistent entre les catégories de victimes et la notion d’invalidité de l’enfant, rarement applicable aux personnes mineures, notamment.

De l’intérêt des intervenantes

Amélie Mercier est assise à une table de travail, un carnet de notes devant elle.

Amélie Mercier précise que les indemnités de l’IVAC l’aident « beaucoup ». Elle souligne qu’elle aurait continué de « s’enfoncer » si ce n’était pas de la thérapie que finance l’organisme pour elle.

PHOTO : RADIO-CANADA / GABRIEL POIRIER

C’est au contact d’intervenants, comme des patrouilleurs et des enquêteurs, qu’Amélie Mercier s’est laissée convaincre de tenter sa chance auprès de l’IVAC. Une intervenante du CAVAC l’a aidée à franchir le pas.

C’est elle qui a rempli le formulaire pour moi. Je suis une personne éduquée, je suis allée à l’université, je suis capable de remplir des formulaires, mais je n’étais pas capable d’admettre que j’étais une victime. Pour moi, je n’étais pas une victime, j’étais une plaignante. Moi, j’ai [seulement] signé la feuille.

Le mot-clic « Toi aussi » est découpé dans du carton et posé sur un babillard. Des petites feuilles adhésives y sont aussi collées.

Un babillard du Point d’appui, à Rouyn-Noranda, recèle des mots d’encouragement.

PHOTO : RADIO-CANADA / GABRIEL POIRIER

Son histoire recoupe les conseils de Judy Noury et de Josée Bélisle, respectivement intervenante au Point d’appui à Rouyn-Noranda et coordonnatrice administrative du CALACS-Abitibi à Amos. Elles invitent les victimes à solliciter l’aide d’intervenants pour les épauler et les guider dans les procédures de l’IVAC.

Est-ce qu’ils [les formulaires] sont accessibles à tout le monde dans la façon dont ils sont écrits? Je pense que non […] Peut-être que même nous, comme intervenantes, nous ne sommes pas au courant de la panoplie de services auxquels elles peuvent avoir [droit]. Un service professionnel, c’est large. Ce serait intéressant d’afficher cette information sur le site Internet [de l’IVAC], souligne Judy Noury.

Josée Bélisle à son bureau de travail.

La réforme de l’IVAC a allégé les formulaires, selon Josée Bélisle, intervenante. L’exercice demeure «quelque peu ardu» pour certaines, car elles ont besoin de soutien.

PHOTO : RADIO-CANADA / GABRIEL POIRIER

Amélie Mercier a commencé sa thérapie, financée par l’IVAC, il y a environ un an. Aujourd’hui, je vais super bien. J’ai l’esprit beaucoup plus libéré. Plus d’ouverture. Une meilleure compréhension et acceptation de mes émotions, évoque-t-elle.

J’encourage toutes les victimes d’actes criminels, quels qu’ils soient, même si elles n’ont pas porté plainte, à faire les démarches, complète Johanie Bellemare St-Georges. Même si ce n’est pas toujours évident, c’est votre droit.

La direction générale de l’IVAC, qui a décliné notre demande d’entretien, rappelle par écrit que le nombre de victimes indemnisées a augmenté en 2022 par rapport aux années précédentes. Les dirigeants de l’organisme assurent qu’ils ont amélioré la façon dont les victimes sont accompagnées.

Avec l’entrée en vigueur de la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement (LAPVIC), ce sont plus de 6700 personnes supplémentaires comparativement à la même période l’année précédente qui ont reçu une aide de l’IVAC, indique la direction de l’IVAC.

Environ 13 400 personnes ont été indemnisées par l’IVAC entre octobre 2021 et octobre 2022, contre 6655 entre octobre 2020 et octobre 2021.