Un automobiliste indemnisé par la SAAQ pour des engelures: «Il faut se battre»
Par Martin Lafrenière, Le Nouvelliste
21 décembre 2023 à 17h22
Marco Hamelin et sa pile de documents concernant sa réclamation à la Société d’assurance automobile du Québec. (Stéphane Lessard/Le Nouvelliste)
«J’en ai vu, en réhabilitation, des gens en fauteuil roulant pour le reste de leur vie à cause d’accidents bizarres et qui pourraient avoir des réclamations. Il faut se battre. C’est une belle victoire. Ça n’enlève pas les douleurs et les souffrances, mais si cela peut servir dans le futur pour des cas similaires, tant mieux!»
Cinq ans après avoir été victime de blessures subies après une sortie de route à Shawinigan, Marco Hamelin vient d’avoir gain de cause contre la Société d’assurance automobile du Québec. La SAAQ refusait de lui verser une indemnité concernant les engelures qui lui ont valu une amputation à deux orteils et des greffes de peau, étant donné que ces blessures sont survenues alors que M. Hamelin marchait dans le froid après sa sortie de route.
Mais le Tribunal administratif du Québec renverse le verdict de la SAAQ. Les dommages subis par M. Hamelin sont en lien direct avec l’utilisation de sa voiture, statue la juge Natalie Lejeune.
Marco Hamelin devra donc être indemnisé à titre d’accidenté de la route.
Retour en 2018
Cette histoire de ce résident du secteur de Saint-Georges à Shawinigan débute le 8 décembre 2018. M. Hamelin participe au souper des Fêtes de son employeur. Lors du trajet pour le retour à la maison, sa voiture fait une embardée entre les deux voies de l’autoroute 55 entre Shawinigan et le secteur de Grand-Mère et demeure coincée.
Aucunement blessé, il sort du véhicule pour tenter de trouver du secours. Sans téléphone cellulaire, sans manteau d’hiver et sans bottes, il emprunte un sentier forestier afin de rejoindre le boulevard des Hêtres. Mais en raison de l’obscurité, du vent et de la neige, il s’enlise dans un banc de neige.
L’individu réussit à se déprendre. Il décide de revenir vers son véhicule en longeant l’autoroute, mais perd conscience. Secouru par des passants qui le récupèrent sur le bord de la 55, il se réveille quelques heures plus tard à l’hôpital avec des engelures sérieuses aux pieds et aux mains.
«La température de mon corps était de 31 degrés. Je mourais par les extrémités. C’est pour ça que je suis tombé.»
— Marco Hamelin
Transféré de Shawinigan à Québec pour être admis à l’hôpital de l’Enfant-Jésus, un centre spécialisé dans les soins aux grands brûlés, Marco Hamelin a les pieds et les mains mal en point. Les médecins lui amputent la première phalange de deux orteils. Les talons reçoivent des greffes de peau. Son auriculaire droit était à risque d’être amputé, mais les médecins ont réussi à le sauver.
«J’ai eu quatre opérations. J’ai passé trois mois à l’Enfant-Jésus et deux mois dans un centre de réhabilitation pour amputés à Québec pour réapprendre à marcher», énumère M. Hamelin, aujourd’hui âgé de 55 ans.
Voici le pied gauche de Marco Hamelin.
C’est là que la bataille avec la SAAQ démarre. Cette dernière refuse de lui verser une indemnité, car l’accident du 8 décembre 2018 ne lui a causé aucune blessure. Elle soutient qu’aucun lien n’existe entre la sortie de route et le diagnostic d’hypothermie de M. Hamelin. Selon la SAAQ, «seuls les conditions climatiques et l’écoulement du temps sont en cause dans les blessures».
La SAAQ prétend que deux événements distincts composent le dossier de Marco Hamelin : l’accident de voiture et sa décision de sortir de son véhicule pour aller chercher de l’aide.
Le Tribunal administratif Québec a un autre avis. Le TAQ «estime que l’événement répond à la définition d’un accident d’automobile et qu’il y a eu un préjudice causé par l’usage d’une automobile». Le jugement mentionne qu’il n’y a pas de règle qui impose de rester dans le véhicule ni qui commande de s’interroger sur les intentions de M. Hamelin.
«La Société administre un régime sans égard à la faute. En fait, il est possible qu’il ait pu se produire la même chose si monsieur était resté dans son automobile, en attendant les secours. Il aurait pu souffrir d’hypothermie.»
Une partie de l’auriculaire droit de Marco Hamelin a failli être amputée.
Selon le TAQ, l’hypothermie est survenue «dans le cadre général de l’usage de l’automobile». Il existe donc un lien entre l’accident et les blessures subies aux mains et aux pieds.
Une décision importante
Selon l’avocat de Marco Hamelin, Me Marc Bellemare, cette décision du TAQ est intéressante, car elle aborde la notion élargie d’un dommage résultant d’un accident.
«La décision est importante en ce sens que la SAAQ a refusé de payer en disant qu’il y a plusieurs séquences : la séquence de la sortie de la route où il n’y a pas de dommages corporels, et la SAAQ a raison. Mais la SAAQ dit que c’est la deuxième séquence qui fait qu’il s’est gelé : “Il sort du véhicule, il a marché et ce n’est pas de notre faute”. C’est un peu ridicule comme raisonnement. Mais la juge le dit. L’événement est un tout. S’il n’utilise pas son véhicule, il n’aurait pas eu des engelures. S’il avait été au coin du boulevard des Forges et de l’autoroute 40 [à Trois-Rivières], il ne se serait pas gelé. Mais dans le fond d’un bois, en pleine nuit, en hiver, les conséquences peuvent être différentes et c’est ce qui est arrivé ici.»
Selon Me Bellemare, rien ne dit que, peu importe les vêtements portés, il n’aurait pas eu d’engelures. De plus, l’assurance automobile a été conçue comme un régime de responsabilité sans faute, rappelle-t-il.
«La SAAQ paie des gens qui étaient en état d’ébriété, des suicidaires. S’ils paient ces gens, c’est une question de principe. Le gouvernement n’a jamais voulu réviser les critères d’indemnisation. M. Hamelin se retrouve carrément au cœur du régime. Il n’a aucune faute dans ce dossier-là. La question est de savoir si le fait de chercher du secours et de regagner un espace vivable en pleine toundra, et que la personne se blesse, est-ce que ça fait partie de la notion d’accident d’automobile? La juge a dit oui. On oblige la SAAQ à l’indemniser.»
— Me Marc Bellemare
L’avocat explique que la SAAQ a maintenant la responsabilité d’évaluer le dossier de M. Hamelin et de déterminer le montant auquel il a droit pour les différents soins professionnels qu’il a reçus. Il a aussi été en arrêt de travail durant deux ans.
Il a changé de type d’emploi au sein de la même compagnie afin de réduire ses déplacements à pied, un changement qui a entraîné une réduction salariale. Cet homme vivant avec des douleurs permanentes aux pieds, de l’hypersensibilité au bout des doigts, de la difficulté à dormir et de l’anxiété pourrait recevoir une indemnité résiduelle pour la différence salariale.
Me Bellemare salue la ténacité de Marco Hamelin, lui qui a refusé de baisser les bras malgré les années qui ont passé et les refus manifestés par la SAAQ.
«Je comprends qu’il sera indemnisé. Mais c’est dramatique de laisser un citoyen à lui-même autant de temps. Quand la SAAQ a la chance de dire non, elle ne se gêne pas pour le dire. Les gens doivent savoir que ce jugement existe. Il ne faut pas croire la SAAQ sur parole. Elle n’est pas votre amie. Faut pas penser que les fonctionnaires sont là pour aider les gens. Soyez à vos affaires et ne vous laissez pas embarquer par la SAAQ.»
Réactions de la SAAQ
Dans un échange de courriels avec Le Nouvelliste, le service des relations avec les médias de la SAAQ indique que le TAQ a estimé que M. Hamelin a fait la démonstration du lien de causalité entre son état et l’accident, selon les faits présentés.
«La Société analyse actuellement la décision et, considérant les délais pour demander une révision, elle n’émettra aucun commentaire à ce stade», écrit Sophie Roy, relationniste et gestionnaire des médias sociaux.
Un automobiliste indemnisé par la SAAQ pour des engelures: «Il faut se battre» (lavoixdelest.ca)