Québec veut élargir l’indemnisation des victimes de crimes contre la personne
Les victimes de leurre d’enfant, d’exploitation sexuelle et de harcèlement criminel pourront bientôt recevoir une compensation financière. La liste restreinte des crimes admissibles en vigueur depuis 1972 sera abolie dans la réforme du programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) déposée jeudi par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, estime que 4000 personnes de plus par année obtiendraient réparation grâce à l’élargissement des critères de l’IVAC, ce qui porterait le total annuel à 11 000. On le voit ici lors d’une conférence de presse, jeudi.
Source: Ledevoir
« Quel message envoie-t-on à un proche endeuillé, à une Québécoise ou à un Québécois agressé à l’étranger, à un individu victime d’exploitation sexuelle, victime de menaces de mort ou de harcèlement quand l’État s’oppose à les reconnaître comme des victimes ? a-t-il demandé en conférence de presse. Il est primordial de rectifier cette injustice pour l’avenir car, aussi simple soit ce geste de reconnaissance, il est fondamental dans le processus de guérison des personnes victimes. »
Projet de loi
Le ministre veut « un IVAC beaucoup plus humain » qui favorise le rétablissement des victimes et de leur famille. Les parents d’un enfant victime d’une infraction criminelle pourront donc aussi recevoir de l’aide. Par exemple, les parents d’un enfant assassiné auront droit à une aide psychologique illimitée, à une aide au remplacement de revenu, à une aide à la réhabilitation professionnelle et sociale de même qu’à une indemnité de décès.
Le projet de loi 84 élimine également le délai de prescription qui existait pour les demandes d’indemnisation des victimes de violence sexuelle, de violence conjugale et de violence subie durant l’enfance. Cela signifie que toutes les victimes de ces types de crime pourront maintenant présenter une demande. « Une personne qui aurait subi une agression sexuelle en 1990 et qui ne se serait jamais adressée à l’IVAC pourrait, à partir du moment de la sanction de la loi, être considérée comme une personne victime », a spécifié M. Jolin-Barrette.
Les victimes d’un crime contre la personne à l’étranger pourront également demander une compensation. Celles qui avaient vu leurs demandes refusées parce qu’elles étaient « hors délai » auront trois ans pour « réactiver leur demande ».
Le ministre Jolin-Barrette estime que 4000 personnes de plus par année obtiendraient réparation grâce à l’élargissement des critères de l’IVAC, ce qui porterait le total annuel à 11 000. Par conséquent, il bonifie le financement du programme à 193 millions sur cinq ans. Le succès de sa réforme tient à cette enveloppe. « Ça a toujours été le nerf de la guerre », a-t-il reconnu.
« M. Jolin-Barrette a raison quand il dit que tous les ministres de la Justice se sont cassé le nez sur des projets de réforme », a affirmé en entrevue l’ex-ministre Marc Bellemare. Comme tous les autres avant lui, il avait aussi échoué à faire passer la sienne.
« Ce n’est pas une “réformette” ou quelques petits accommodements cosmétiques, c’est vraiment une réforme », s’est réjoui l’avocat spécialisé dans l’indemnisation des victimes d’actes criminels. Il note que le programme de l’IVAC ne sera plus chapeauté par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
« M. le Ministre a compris que le type de lien qu’entretenaient les fonctionnaires de la CNESST avec les victimes n’était pas acceptable, a-t-il dit. Les gens se font traiter de n’importe quoi, ils sont mal reçus, il y a beaucoup de délais de traitement. Donc, la façon de traiter les cas va changer. »
Un régime critiqué
Le régime de l’IVAC a régulièrement été dénoncé par des victimes d’infractions criminelles pour sa rigidité. L’ex-protectrice du citoyen, Raymonde St-Germain, avait reproché à la direction du programme en 2016 son « interprétation restrictive ». Les gestionnaires imposaient leurs propres conditions d’admissibilité aux mesures d’aide, alors qu’elles n’étaient « pas prévues » dans la législation.
Avec cette réforme, le gouvernement applique l’une des 58 recommandations de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs, qui lui recommandait de reconnaître les victimes de ces crimes et d’abolir le délai de prescription. Il avait fait une priorité nationale de la lutte contre ce fléau la semaine dernière.
« Il était temps ! » a déclaré le député de Québec solidaire Alexandre Leduc dans une déclaration. « Malheureusement, le maintien du critère de “faute lourde” risque de causer de nouveaux problèmes, notamment pour les crimes d’exploitation sexuelle et de traite de personnes », a-t-il dit. Ce critère permet de refuser l’indemnisation si une personne a contribué, « par sa faute lourde, à son atteinte », soit en participant à commettre le crime.
Les libéraux ont accueilli positivement la réforme du ministre Jolin-Barrette, tandis que le Parti québécois a préféré prendre le temps d’étudier le projet de loi avant de réagir.