Carambolage mortel: au volant de son camion à cause d’une erreur de la SAAQ

Le camionneur accusé d’avoir causé la mort de quatre personnes dans le carambolage monstre sur la 440 à l’été 2019 n’aurait jamais pu se retrouver derrière le volant sans une grave erreur de la SAAQ.

Source: TVA Nouvelles

En 2014, Jagmeet Grewal a été reconnu inapte «de façon permanente» à conduire un camion.

Quatre personnes ont péri dans le carambolage monstre survenu le 5 août 2019, sur l’autoroute 440, à Laval, à la hauteur du km 23,5, près de la bretelle de l’autoroute 15.

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Quatre personnes ont péri dans le carambolage monstre survenu le 5 août 2019, sur l’autoroute 440, à Laval, à la hauteur du km 23,5, près de la bretelle de l’autoroute 15.

Pourtant, le 5 août 2019, il était derrière le volant d’un semi-remorque sur l’autoroute 440 Ouest à Laval. Ne remarquant pas qu’une file de voitures s’allongeait devant lui près de la bretelle menant à l’autoroute 15, une série de voitures ont été embouties, entraînant un violent incendie.

Gilles Marsolais, 54 ans, Michèle Bernier, 48 ans, Sylvain Pouliot, 55 ans, et Robert Tanguay Laplante, 26 ans, ont péri. Le camionneur avait été arrêté 11 mois plus tard, puis accusé de conduite dangereuse et de négligence criminelle causant la mort et des lésions.

Jagmeet Grewal, âgé de 56 ans, au palais de justice de Saint-Jérôme.

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Jagmeet Grewal, âgé de 56 ans, au palais de justice de Saint-Jérôme.

Inaptes

Au moment du drame, Jagmeet Grewal détenait un permis de conduire de classe 1, nécessaire pour conduire un véhicule lourd.

Mais ce permis, il l’a obtenu en 2018 de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ)… par erreur.

Ces informations ont été révélées hier devant le juge Marc-André Dagenais, au palais de justice de Saint-Jérôme, dans le cadre d’une requête en exclusion de la preuve.

Les avocats de Jagmeet Grewal, qui doit subir prochainement son procès, tentent en effet de faire en sorte que son dossier d’indemnisation à la SAAQ ne soit pas pris en compte devant le tribunal.

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Dans ces documents, on y apprend notamment que le camionneur a été blessé dans un grave accident de la route aux États-Unis en 2012. Incapable de travailler, il faisait des cauchemars, peinait à rester debout et se sentait déprimé. Il devait prendre plusieurs médicaments.

C’est deux ans plus tard qu’un psychiatre a statué qu’il était «inapte» à être camionneur, en raison de troubles mentaux. La SAAQ, qui lui accordait jusque là des indemnités de revenus, a aussi jugé qu’il était maintenant apte à occuper un emploi «non exigeant».

Mécontent de cette conclusion, M. Grewal a multiplié les contestations: il espérait ne plus du tout travailler.

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Faire fi

Une entente hors cour a été conclue : la SAAQ lui garantissait une prolongation de ses indemnités de revenus, mais ce dernier devait se trouver un emploi, autre que celui de camionneur.

Quelques mois plus tard, M. Grewal a fait fi de cette entente et a entamé des démarches pour ravoir un permis de classe 1.

«Il l’a obtenu après avoir fourni tous les documents médicaux nécessaires, a confirmé Régis Laforge, responsable des enquêtes à la SAAQ. Tout en maintenant son indemnité pour ne pas être camionneur.»

Or, s’il a obtenu si facilement un nouveau permis de conduire, c’est en raison d’un manque de communication à la SAAQ. En effet, jamais le département qui octroie des permis n’aurait eu vent du dossier médical de M. Grewal.

«Chaque département ne se parle pas à la SAAQ», a expliqué en cour, Simon Lebel-Chartrand, sergent-détective de la Sûreté du Québec.

Si la défense s’oppose à ce que ces informations contenues dans le dossier d’indemnisation de l’homme de 56 ans soient présentées en preuve, c’est notamment parce que cela révèle « des détails intimes » sur l’accusé, ont écrit ses avocats dans la requête.

IL VOULAIT ENCORE CONDUIRE APRÈS LE DRAME

À peine accusé d’avoir causé un carambolage dans lequel quatre personnes ont péri, le camionneur a poussé l’audace jusqu’à demander la permission de conduire à nouveau un poids lourd.

Jagmeet Grewal s’est fait passer les menottes aux poignets le 9 juillet 2020. Après sa mise en accusation, il a été libéré, mais devait respecter de nombreuses conditions, dont celles de ne pas quitter la province et de ne pas conduire de véhicule, sauf une automobile.

Or, depuis 1998, le seul emploi qu’il ait jamais occupé était celui de camionneur. Et il venait à peine d’acquérir, avec son fils, un tracteur de remorque, avait fait valoir l’accusé dans une requête déposée quelques semaines après son arrestation.

Il y demandait qu’on change ses conditions de remise en liberté afin de lui permettre d’exercer son métier.

D’ailleurs, c’est en voulant s’assurer que la condition de ne pas conduire de poids lourd serait appliquée à la lettre qu’un enquêteur de la Sûreté du Québec avait découvert l’erreur fatale de la SAAQ dans le dossier de M. Grewal.

«Bizarre»

Simon Lebel-Chartrand avait contacté le responsable des enquêtes à la SAAQ, Régis Laforge, qui lui a mentionné qu’il y avait « quelque chose de bizarre dans le dossier » du camionneur.

Le permis de conduire de classe 1 de ce dernier avait été révoqué pour troubles mentaux, mais il a pu s’en procurer un nouveau.

«Cette information est complètement nouvelle», a expliqué en cour l’enquêteur Simon Lebel-Chartrand, dans le cadre d’une requête en exclusion de la preuve du dossier d’indemnisation de la SAAQ de l’accusé.

«Et ces informations sont essentielles au dossier, puisque c’est en lien directement avec les capacités de conduire de M. Grewal», a-t-il ajouté.

En effet, au moment du drame, des témoins ont affirmé que le camionneur «est rentré dans le tas», sans jamais s’arrêter. À son assureur, l’accusé aurait déclaré avoir eu une « perte de contact avec la réalité ».

Le camionneur n’aura finalement pas pu faire changer ses conditions, puisque la SAAQ a par la suite décidé de révoquer son permis de classe 1.