Nicolas Bérubé

NICOLAS BÉRUBÉLA PRESSE

Quand l’adolescent dont elle était l’aidante à domicile a fait un mouvement brusque pour l’éloigner de lui, Aïcha Goupil a aussitôt ressenti un éclair de douleur au pouce droit.

« Mon pouce est allé à l’envers. Tous les ligaments de ma main ont éclaté », dit-elle.

En route vers les urgences avec sa main endolorie, Mme Goupil ne se doutait pas que cet accident de travail survenu le 28 novembre 2019 allait lui coûter sa carrière, ses finances, son autonomie et son sentiment de sécurité, en plus de menacer sa santé mentale.

Je résiste, mais c’est difficile. Il y a des jours où je n’en peux plus. Je suis écœurée de me battre. Je suis tannée de demander de l’aide à tout bout de champ. Jamais je n’aurais cru qu’une personne qui se blesse au travail au Québec pouvait vivre ça.

 Aïcha Goupil

Les problèmes sont arrivés en cascade. Sa blessure à la main nécessitait une opération rapide. Mais la pandémie l’a repoussée de plus d’un an.

« J’ai été opérée trop tard, dit Mme Goupil. Durant l’opération, un petit nerf a été accroché, et ça a attaqué mon système nerveux au complet. »

Difficultés financières

Mme Goupil, qui n’avait aucun ennui de santé avant cet accident, souffre aujourd’hui d’un CRPS de type 1, soit une douleur incontrôlable et invalidante à la main droite, qui est sa main dominante. Toutes les six ou sept semaines, elle est traitée à la kétamine, qui réduit la sensibilité à la douleur. Elle fait aussi des chocs vagaux à répétition.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) verse à Mme Goupil des prestations qui correspondent à 90 % du salaire net qu’elle touchait au moment de l’accident. Elle reçoit 861,70 $ toutes les deux semaines, soit moins que le salaire minimum.

« Mon logement me coûte 1125 $ par mois, et il n’est pas chauffé, rien. J’élève seule ma fille de 17 ans. J’ai dû vendre ma voiture, et il n’y a presque pas de transports en commun à Lévis. J’ai une facture de 966 $ à la clinique que je ne suis pas capable de payer. J’ai peur de tomber sur l’aide sociale », dit Mme Goupil.

L’intérêt des employeurs

Marc Bellemare, ancien ministre de la Justice et avocat spécialisé dans le domaine des accidents, notamment dans des dossiers qui concernent la CNESST, note que l’indemnité versée par la CNESST à de nombreux travailleurs accidentés est souvent insuffisante pour combler les besoins de base.

« Souvent, les gens occupent un emploi mal rémunéré en attendant de trouver mieux. Ils ont un accident de travail et sont ensuite pris avec des indemnités qui sont moins que le salaire minimum, possiblement pour le reste de leur vie. Ils peuvent être financièrement condamnés à une vie de misère, même si leurs compétences sont bien supérieures à ça. »

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

L’ancien ministre de la Justice et avocat spécialisé dans le domaine des accidents, Marc Bellemare

MBellemare note que les Québécois ne réalisent souvent pas que la CNESST est une mutuelle d’employeurs.

Les employeurs ont un intérêt financier dans tous les dossiers. Souvent, ils se servent de leurs droits de façon énergique. Ce sont des fonds publics, mais dans la réalité, ce sont des fonds d’employeurs.

 Marc Bellemare, ancien ministre de la Justice et avocat spécialisé dans le domaine des accidents

Contrairement à ce qui se passe avec la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), par exemple, l’employeur est un partenaire dans les dossiers de la CNESST. « L’employeur a autant de droits que les travailleurs. »

La CNESST et l’employeur peuvent aussi faire examiner les travailleurs par le médecin de leur choix. « La condition d’une personne peut faire l’objet d’un débat sur le plan médical, il peut y avoir quatre ou cinq médecins qui sont en contradiction. Mais la CNESST a souvent recours à des médecins retraités, très conservateurs, qui passent 10 minutes avec la personne et trouvent que leur condition n’est pas si pire. »

La loi qui gouverne la CNESST date de 1985 et est extrêmement complexe, dit-il. « Il y aurait tout un travail à faire là-dedans pour que les gens accidentés puissent vivre de façon décente. »

EN SAVOIR PLUS
  • 4,1 millionsNombre total de travailleurs couverts par le régime de santé et de sécurité du travail
    SOURCE : RAPPORT ANNUEL 2022 DE LA CNESST
  • 233 220Nombre d’employeurs qui participent au régime de la CNESST
    SOURCE : RAPPORT ANNUEL 2022 DE LA CNESST
  • 3,4 milliardsCotisation des employeurs au régime de la CNESST en 2022
    SOURCE : RAPPORT ANNUEL 2022 DE LA CNESST