Des accidentés en colère contre leur cabinet d’avocats

Les pratiques d’Accident Solution, spécialisée dans la défense des accidentés, soulèvent des questions, rapporte La facture. Le Barreau est interpellé.

Dans son chez-soi.

Chantale Gagnon, une cliente déçue d’Accident Solution

PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-FRANÇOIS VÉZINA

 

Chantale Gagnon n’oubliera jamais son accident du 16 janvier 2021. En pleine tempête de neige, elle perd l’équilibre en sortant du taxi qui la ramène chez elle. « Je parlais au chauffeur de taxi, puis il est parti et j’avais encore la main sur la poignée. Je suis tombée de côté et je me suis blessée à la main », dit-elle.

Chantale Gagnon est incapable de travailler pendant des mois et se retrouve dans une situation financière précaire. Mais la SAAQ refuse de l’indemniser parce qu’elle estime qu’il ne s’agit pas d’un accident de la route au sens de la Loi sur l’assurance automobile. C’est alors qu’elle se tourne vers le cabinet d’avocats Accident Solution, spécialisé dans la défense des accidentés de la route et du travail.

Six mois plus tôt, Pierre Sénécal avait lui aussi contacté Accident Solution dans l’espoir de faire reconnaître des séquelles d’un accident de voiture survenu en 2004 qui aurait pu lui coûter la vie. Je suis tombé en bas d’un pont à 80 kilomètres à l’heure. J’ai encore de la misère avec mon cou. Je demandais juste des traitements, souligne-t-il.

Accident Solution, dont les bureaux sont à Montréal, offre aussi des rencontres à domicile. Pierre Sénécal reçoit la visite d’un des représentants de l’entreprise, un dénommé Pierre Roy, qui vient prendre connaissance de ses documents. Ses propos sont encourageants.

Il m’a dit que c’était du facile à gagner puis que j’avais un dossier en béton à 95 %, affirme M. Sénécal, ce que confirme sa conjointe, qui assistait aussi à la rencontre.

Chantale Gagnon reçoit la visite du même représentant, qui se fait rassurant. Il lui laisse entendre qu’il ne se serait pas déplacé si sa cause n’était pas bonne.

Dans sa cuisine.

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Chantale Gagnon et Pierre Sénécal, qui croient à tort que Pierre Roy est un avocat, signent le jour même un contrat de 1750 $ plus taxes avec Accident Solution qui prévoit plusieurs étapes, depuis l’analyse du dossier jusqu’à la contestation. Les frais de conciliation et d’audience ne sont pas inclus. En cas de victoire, ils doivent verser au cabinet au moins 20 % des sommes obtenues.

Un dossier faible et un autre hors délai

Pour Pierre Sénécal, tout va pour le mieux jusqu’à ce qu’il apprenne, plusieurs mois plus tard, que son dossier est loin d’être béton.

Selon un avocat d’Accident Solution, il a besoin d’une expertise médicale pour faire le lien entre ses douleurs et son accident, sans quoi ses chances de succès sont très faibles. Son contrat stipule que les frais d’expertise ne sont pas compris. Pierre Sénécal en ignorait les coûts, qui peuvent s’élever à plus de 2000 dollars. Le représentant d’Accident Solution, Pierre Roy, n’en avait pas parlé lors de la signature du contrat, selon Pierre Sénécal et sa conjointe.

De son côté, Chantale Gagnon découvre, un an et demi après la signature de son contrat, que la dernière décision de la SAAQ lui refusant des indemnités n’a jamais été contestée par Accident Solution, bien qu’elle l’ait bel et bien fait parvenir au cabinet. Elle se trouve ainsi hors délai. J’ai vraiment paniqué. J’ai braillé toute la nuit. J’ai dit : ça se peut pas, je me suis fait avoir, souligne-t-elle.

Le site Internet d'Accident Solution.

PHOTO : RADIO-CANADA

Accident Solution réplique

Accident Solution dit ne pas avoir vu, à l’époque, la décision envoyée par Chantale Gagnon, ce qui explique pourquoi la contestation n’a pas été faite dans les délais. En fait, le cabinet en a pris connaissance pour la première fois par l’entremise de La facture, qui a transmis à l’entreprise les preuves à cet effet.

Par ailleurs, en réaction au cas de Pierre Sénécal, Accident Solution fait valoir que les membres de son équipe ne font aucune promesse sur les chances de succès.

Joint au téléphone, Pierre Roy réfute aussi les propos qui lui sont attribués par les clients et estime qu’il s’agit d’une question d’interprétation. Il affirme toutefois qu’il n’aborde pas d’emblée les expertises médicales et leurs coûts. Sur ce point, Accident Solution indique qu’il se peut qu’une expertise devienne nécessaire en cours d’analyse. Cependant, selon l’avocat Marc Bellemare, un pionnier dans la défense des accidentés, cette possibilité doit être évoquée dès le départ avec le client.

On ne prend pas un mandat à 2000 piasses en disant :  »T’as une bonne cause », pour appeler le gars au bout de quatre mois et lui dire :  »Ben là, ça prend une expertise. » Je ne comprends pas ça, affirme l’ancien ministre de la Justice, dans son bureau de Québec.

L'avocat Marc Bellemare dans ses bureaux.

PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-FRANÇOIS VÉZINA

Accident Solution, créé en 2018, est dirigé par Me Robert Astell. Le cabinet a refusé de nous accorder une entrevue à la caméra et critique notre démarche journalistique. Il fait valoir qu’il a représenté des milliers de personnes qui ont eu gain de causedans leurs démarches, dit offrir les prix les plus bas sur le marché et favoriserl’accès à la justice.

L’entreprise nous met en garde contre les propos de Marc Bellemare, un concurrent direct, qu’elle accuse de nuire à sa réputation.

Des pratiques qui soulèvent des questions

Le Barreau du Québec ne veut pas se prononcer sur les pratiques d’Accident Solution, mais accepte de nous parler de manière générale.

Selon la secrétaire de l’Ordre et directrice des affaires juridiques, Me Sylvie Champagne, le recours à des représentants qui font signer des contrats à des clients (comme c’est le cas chez Accident Solution) n’est pas une pratique courante. En vertu du Code de déontologie, les avocats doivent avoir une discussion avec leur client sur la question des honoraires avant d’accepter un mandat.

L’avocat s’assure, avant de convenir avec le client de fournir des services professionnels, que le client a toute l’information utile sur ses modalités financières et obtient son accord à ce sujet, sauf s’il a des raisons de croire que ce client en est déjà informé.

Source : Code de déontologie des avocats – Loi sur le Barreau, article 99(Nouvelle fenêtre)

Selon Me Sylvie Champagne, il se peut que quelqu’un d’autre fasse signer le mandat au client, mais au préalable, ce même client doit avoir eu une discussion avec l’avocat qui doit le représenter. Selon Chantale Gagnon et Pierre Sénécal, ce n’est pas ce qui s’est passé.

L’avocat doit discuter avec le client des honoraires, de la fréquence des honoraires et de son taux horaire, dire si c’est une somme forfaitaire, avant d’accepter le mandat. Alors, ça prend un avocat qui va discuter de ces questions-là, explique la secrétaire de l’Ordre. J’invite les citoyens à toujours demander de rencontrer l’avocat avec lequel ils voudraient faire affaire avant de signer un mandat, avant de s’engager sur des honoraires professionnels.

Sylvie Champagne, secrétaire de l'Ordre et directrice des affaires juridiques, Barreau du Québec

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Une analyse après la signature du contrat

Sylvie Champagne, du Barreau du Québec, souligne que lorsqu’un client veut faire affaire avec un avocat, il y a des rencontres pour que le client sache s’il a une cause et quels sont les honoraires qu’il devra débourser pour faire valoir ses droits.

Selon Chantale Gagnon et Pierre Sénécal, ce n’est pas ce qui s’est passé dans leur cas. Leurs contrats stipulent d’ailleurs clairement que l’analyse de dossier survient après la signature du contrat.

À première vue, les tarifs d’Accident Solution semblent concurrentiels. Les honoraires d’autres avocats qui défendent des accidentés peuvent s’élever à une dizaine de milliers de dollars pour des dossiers complexes. Or, pour Marc Bellemare, c’est le tarif de base d’Accident Solution, à la signature du contrat, qui soulève des questions.

Ce qui me dérange, c’est qu’il y a un montant fixe d’à peu près 2000 $ qui est facturé au départ. Normalement, il y a une étude de dossier qui doit se faire avant. Et ça ne coûte pas 2000 $ d’analyser un dossier, à moins qu’il ait 4000 pages, explique l’avocat et ancien ministre de la Justice du Québec. Selon plusieurs avocats consultés, une analyse préliminaire, pour déterminer s’il vaut la peine de faire valoir ses droits, coûte entre 130 $ et 650 $.

Un ex-fraudeur au sein de l’entreprise

L’un des employés d’Accident Solution a retenu notre attention en raison de son passé et de ses propos.

Alexandre Royer, gestionnaire de dossiers au sein de l’entreprise depuis plusieurs années selon sa page LinkedIn, a aussi été l’une des têtes dirigeantes d’une organisation criminelle qui a fraudé au moins une centaine d’épargnants canadiens pour plus de 10 millions de dollars.

En 2015, il a plaidé coupable à plusieurs accusations, notamment de fraude, de vol, de recyclage de produits de la criminalité et de complot. L’un de ses avocats était Robert Astell, qui est aujourd’hui le grand patron d’Accident Solution.

Accident Solution estime qu’Alexandre Royer est un excellent gestionnaire et qu’il a droit à la réhabilitation.

En vertu du Code de déontologie des avocats, rien n’interdit l’embauche d’une personne qui a un casier judiciaire au sein d’un cabinet d’avocats. Par contre, l’avocat doit veiller à ce que ses collaborateurs respectent les règles en vigueur.

L’avocat prend les moyens raisonnables pour que la Loi sur le Barreau (chapitre B-1), le Code des professions (chapitre C-26) et les règlements pris pour leur application soient respectés par toute personne qui coopère avec lui dans l’exercice de ses activités professionnelles et, le cas échéant, par tout cabinet où il exerce de telles activités.

Source : Code de déontologie des avocats – Loi sur le Barreau, article 5(Nouvelle fenêtre)

Lors d’une consultation avec un client, dont l’enregistrement nous a été transmis, Alexandre Royer aborde la question des expertises médicales. Il affirme qu’une expertise médicale est un investissement.

Quand on dépose ça au tribunal comme preuve, je peux vous dire que 95 % du temps, ça se règle par une entente hors cour [sic], dit-il au client.

Cette affirmation fait bondir l’avocat Marc Bellemare. Une expertise, c’est un avis professionnel. On n’a aucune idée de ce que ça va donneret il arrive, dans certains cas, que l’expertise soit défavorable.

Par l’entremise d’Accident Solution, Alexandre Royer dit avoir toujours tenu le même discours […] neutre et objectif avec les clients […] sur les raisons d’être d’une expertise.

Une cliente remboursée en bonne partie

Marie-Ève Gauthier fait également partie des clients mécontents des services d’Accident Solution.

En 2021, après une blessure sur son lieu de travail, elle signe un contrat avec l’entreprise pour faire reconnaître plusieurs séquelles. Elle débourse plus de 1600 $ plus taxes pour être représentée par un non-avocat, comme le permet la loi dans le cas des accidents de travail.

Elle a plusieurs échanges avec des employés d’Accident Solution, mais à l’approche de la date d’audience, elle commence à s’inquiéter parce qu’elle n’a aucune nouvelle. Elle parvient finalement à parler à un employé qui lui laisse entendre que c’est normal, que c’est ainsi afin de préserver la spontanéité des clients en cour pour que cela n’ait pas l’air préparé.

Elle consulte un dossier sur sa table de cuisine.

PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-FRANÇOIS VÉZINA

Quand j’ai raccroché après ça, je me suis dit que ça n’avait aucun bon sens, nous raconte Marie-Ève Gauthier.

Dans les faits, personne n’est disponible pour la représenter à l’audience. Elle met fin à son contrat et s’adresse au Barreau du Québec pour dénoncer les pratiques de l’entreprise. Sa plainte est entendue devant le Conseil d’arbitrage des comptes, une instance du Barreau qui entend uniquement les litiges entourant les honoraires d’avocats et qui n’a rien à voir avec la déontologie.

Dans une décision rendue au printemps dernier, l’arbitre ordonne à Accident Solution de lui rembourser la somme de 1359,58 $ compte tenu notamment du manque de suivi, de conseils et d’efforts consacrés à son dossier.

Des clients contestent

Chantale Gagnon et Pierre Sénécal ont tous deux rompu leurs liens avec Accident Solution.

Pierre Sénécal s’est présenté en cour seul et sans expertise médicale contre la SAAQ et il a perdu. S’il avait eu toute l’information pertinente au départ, il n’aurait jamais signé un contrat avec Accident Solution et aurait plutôt investi cette somme dans des traitements, dit-il.

Dans l’espoir de récupérer son argent, il poursuit maintenant aux petites créances celui qui lui a fait signer son contrat. De son côté, Accident Solution, au nom de son représentant, se défend dans le dossier et conteste la version des faits de Pierre Sénécal.

Quant à Chantale Gagnon, elle s’est tournée vers une autre avocate, Me Sophie Mongeon, pour la représenter. Dans une décision rendue sur le banc dans les derniers jours, la juge a relevé Chantale Gagnon de son défaut de contestation dans les délais, estimant que ce n’était pas de sa faute, mais plutôt celle de son représentant, soit Accident Solution, selon son avocate Me Mongeon.

Son dossier sera donc entendu sur le fond éventuellement.

Chantale Gagnon est désormais représentée par Me Sophie Mongeon.

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Chantale Gagnon a aussi porté plainte au Barreau, qui mène présentement une enquête déontologique. T’engages des avocats pour te défendre. Là, il faut que je me défende contre ces avocats-là qui n’ont rien fait, se désole-t-elle.

Accident Solution nous indique qu’aucune plainte déontologique n’a été retenue contre l’entreprise ni contre Me Robert Astell.

Pour sa part, Me Marc Bellemare souhaite que le Barreau soit beaucoup plus interventionniste. Et il ne mâche pas ses mots face à son ordre professionnel. Je trouve que le Barreau ne fait pas sa job. Le rôle du Barreau, c’est de protéger la population, de protéger le public. Et les victimes d’accidents sont peut-être les clientèles les plus vulnérables qui soient, fait-il valoir.

La secrétaire de l’Ordre et directrice juridiques du Barreau se défend et invite les citoyens à communiquer avec l’organisme. Moi, je peux vous confirmer que le Barreau du Québec prend ces dossiers-là très au sérieux pour s’assurer que le public est protégé. On a tous les mécanismes. Et j’invite les citoyens qui ont des plaintes à faire à communiquer avec nous, précise Me Sylvie Champagne, du Barreau du Québec.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2020567/clients-cabinet-avocats-accident-route-deception