Les tueurs non criminellement responsables libérés deux fois plus vite que les autres
Près de 150 tueurs québécois ont été déclarés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux (NCRTM) depuis 30 ans, a découvert notre Bureau d’enquête. Et ces meurtriers sont libérés généralement deux fois plus vite que les autres condamnés pour le même crime.
Claudia Berthiaume
Source: Le Journal de Québec
Nos recherches prouvent que les assassins qui ont été reconnus NCRTM entre 1990 et 2021 obtiennent une libération de l’hôpital psychiatrique après quatre ans et trois mois, en moyenne.
En comparaison, les tueurs envoyés au pénitencier doivent purger un minimum de 10 ans d’incarcération. Et s’ils sortent un jour, ce qui n’est pas garanti, ils demeurent suivis à vie.
Bien que certains meurtriers NCRTM demeurent détenus jusqu’à la fin de leurs jours, en général, ils ne sont plus soumis à aucune condition neuf ans après le crime.
Lorsqu’il s’agit d’une femme NCRTM, les étapes semblent être franchies plus rapidement. Celles-ci passent en moyenne deux ans et demi à l’hôpital psychiatrique et sont libérées inconditionnellement après six ans et demi.
Quatre cas
Notre Bureau d’enquête a pu faire ces constats grâce à des recherches exhaustives dans des dossiers judiciaires et des demandes d’accès à l’information (voir méthodologie).
Dans les pages qui suivent, nous vous présentons en détail quatre cas récents survenus dans différentes régions du Québec.
Comment expliquer une telle disparité entre la durée de la détention des tueurs condamnés et celle des meurtriers NCRTM?
«On a jugé que les personnes NCRTM n’avaient pas de responsabilité au moment de l’acte, en raison de leur état mental, donc on n’a pas de prise sur elles. Si elles ne représentent pas un risque pour la sécurité du public, on ne peut pas les détenir indéfiniment dans un établissement», note la professeure Emmanuelle Bernheim, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Santé mentale et accès à la justice.
Choquant
N’empêche, certains pourraient s’insurger contre le fait qu’un père ayant tué ses trois enfants alors qu’il délirait soit libéré après seulement trois ans de détention.
Près de 25 ans après les événements tragiques, notre Bureau d’enquête l’a retrouvé, mais il a décliné notre demande d’entrevue, se sentant incapable d’aborder le sujet publiquement.
Il a refait sa vie avec une nouvelle conjointe et a déniché un emploi. Il n’a jamais eu d’autres démêlés avec la justice. Afin de ne pas nuire à sa réhabilitation, nous avons décidé de taire son identité.
«J’entends souvent dire que quelqu’un ayant tué est irrécupérable. Mais les psychiatres vous diront que, lorsqu’un individu sous l’emprise de la maladie mentale ne possède pas à la base la personnalité compatible avec l’acte, il peut guérir sans risque de récidive», écrit à propos de ce cas l’auteure Louise-Marie Lacombe dans son livre Expertises, basé sur le travail du psychiatre Gilles Chamberland.
Faible récidive
Dans les faits, cet homme n’est pas différent de la plupart des tueurs NCRTM, a-t-on constaté. Trois assassins NCRTM sur quatre n’avaient aucun dossier criminel au moment de poser un geste fatal. C’était d’ailleurs le cas d’Abdulla Shaikh, le présumé meurtrier qui a abattu trois hommes à Montréal et Laval, la semaine dernière.
Selon nos données, depuis 1990, seuls 10 % d’entre eux ont commis un autre acte criminel, presque tous de moindre gravité, à l’exception de deux cas, qui se sont soldés par la mort d’une autre personne.
Une conclusion partagée par la chercheuse Anne G. Crocker, dans une étude publiée en 2014. «Les taux de récidive sont particulièrement faibles dans le cas des personnes dont le verdict de NCRTM suit la commission d’un délit grave; ceci indique que les décisions de libération sont justifiées», estime la professeure de l’Université de Montréal.
Double but
Cela pourrait s’expliquer par le fait que les unités de psychiatrie légale, où séjournent ceux qui ont tué alors qu’ils ne pouvaient discerner le bien du mal, ont deux missions.
«La protection du public et le traitement du patient et de ses besoins, énumère le Dr Mathieu Proulx. Nous ne sommes pas juste une équipe de traitement, mais aussi une équipe de gestion du risque de violence.»
«Des fois, on recommande des choses que nos patients n’aimeront pas, qui sont contre leurs intérêts», poursuit le chef du département de psychiatrie légale de l’Institut Philippe-Pinel.
Photo courtoisie de la Cour
«Ce n’est pas blanc ou noir comme dans le système de justice traditionnel avec une date [de libération]. On se fie à l’évolution de la personne. Il n’y a pas de critères à cocher sur une liste pour sortir», ajoute sa collègue Sandrine Martin, criminologue et auteure d’un mémoire sur le sujet.
– Avec la collaboration de Charles Mathieu et de Philippe Langlois
QUI SONT LES TUEURS ?
- 83 % d’hommes
- Les 2/3 ont moins de 40 ans
- En général, sans emploi ni diplôme
- 25 % ont des antécédents judiciaires
- Plusieurs ont déjà été traités en psychiatrie
- Les 2/3 montrent des signes de psychose
- 20 % ont un problème de toxicomanie
- 79 % sont en liberté
MYTHES ET RÉALITÉS
MYTHE : Lorsqu’ils sont libérés, on perd les meurtriers NCRTM dans la nature.
RÉALITÉ : À leur sortie, ils habitent dans une ressource ou un appartement approuvé par l’équipe traitante. Selon nos données, 14 % d’entre eux ont été ramenés en établissement en raison d’un changement dans leur état mental.