Victime du régime no fault « La CAQ m’a utilisée, puis abandonnée »

Nancy Leblond avec son conjoint Patrick Dupuis et le ministre Benoit Charette

PHOTO FOURNIE PAR NANCY LEBLOND

Nancy Leblond et son conjoint Patrick Dupuis avec le ministre Benoit Charette, le 11 mai 2017

Victime de crises chroniques résultant de brûlures chimiques dues à un coussin gonflable défectueux il y a plus de 25 ans, Nancy Leblond dit avoir été abandonnée par la Coalition avenir Québec (CAQ), qui s’était engagée à l’aider avant d’accéder au pouvoir.

NICOLAS BÉRUBÉLA PRESSE

 

« On m’a traitée sans respect, on m’a utilisée et jetée après usage », affirme Nancy Leblond.

La femme, qui habite près de Québec, vit avec des crises de douleur aiguë constante qui l’envoient recevoir des injections de morphine aux urgences. Elle suit des traitements pour lesquels elle doit avaler 30 comprimés par jour, soit plus de 10 000 comprimés par an.

« Malgré tout, la douleur continue, dit-elle. J’ai des décharges électriques au cerveau et au visage sans arrêt, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Sur l’échelle de la douleur, je suis à 7 et 8 tous les jours. »

Sa seule planche de salut : aller vivre dans un climat chaud. Son neurologue lui recommande de passer six mois dans un tel climat puisque le froid sur son visage exacerbe le problème et provoque des douleurs pratiquement impossibles à supporter. Elle ne sort pratiquement jamais de son appartement l’hiver, car le froid est si douloureux pour son visage qu’il provoque des crises.

Je dois avoir un fonds d’urgence pour me retrouver dans un endroit où je pourrai stabiliser ma qualité de vie et pour ma santé, et cela comprend mon conjoint qui est mon aidant naturel.

Nancy Leblond

En 2017, Benoit Charette, actuel ministre de l’Environnement et député de Deux-Montagnes avec la Coalition avenir Québec (CAQ), l’a contactée chez elle. « Il m’avait dit que lors des élections à venir, si son parti politique rentrait au pouvoir de façon majoritaire, il ferait tout pour m’aider », se souvient-elle. Or, depuis la prise de pouvoir de la CAQ, rien n’a été fait pour améliorer sa situation, affirme Mme Leblond.

Le 30 mai 2019, à l’invitation de Sylvain Lévesque, député de Chauveau avec la Coalition avenir Québec, Mme Leblond et son conjoint se sont rendus à l’Assemblée nationale pour y déposer des pétitions pour modifier le régime sans égard à la responsabilité (no fault en anglais) au Québec. Depuis, les deux politiciens ont coupé les communications avec Mme Leblond.

Contacté par La Presse, le cabinet du ministre Benoit Charette n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue. Le cabinet du député Sylvain Lévesque a refusé notre demande d’entrevue, et nous a plutôt invité à contacter la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Coussin gonflable défectueux

C’est lors d’une collision à basse vitesse alors qu’elle était passagère d’une voiture GM à Montréal en 1995 que Mme Leblond a subi d’importantes brûlures chimiques au visage. Le coussin gonflable s’est mal déployé, projetant des gaz à -200 degrés dans son visage, ce qui a lui a causé des séquelles permanentes.

Ailleurs en Amérique du Nord, Nancy Leblond aurait pu intenter une poursuite civile contre GM. Mais pas au Québec, où le régime sans égard à la responsabilité interdit cette démarche.

Depuis, Transports Québec la dirige vers la SAAQ, qui la dirige par la suite vers Transports Québec, et ainsi de suite.

« Je me suis tapé deux pétitions, avec deux partis politiques, plus un passage à l’Assemblée nationale… J’ai beau leur expliquer, m’asseoir, leur donner des papiers, il n’y a rien à faire, ça ne passe pas. À un moment donné, je suis un être humain », dit Mme Leblond.

Gino Desrosiers, porte-parole de la SAAQ, note que la Société a introduit en 2022 le versement d’une indemnité de remplacement du revenu minimale, basée sur le revenu hebdomadaire moyen des travailleurs du Québec, pour les clients ayant des blessures ou séquelles de nature catastrophique.

« Étant dans sa première année de mise en œuvre, la Société évaluera ultérieurement si une révision de ce règlement est requise, dit-il. Mme Leblond reçoit tout ce à quoi elle a droit selon la couverture d’assurance prévue à la loi. Elle reçoit notamment des indemnités de remplacement de revenu, elle a reçu des indemnités pour séquelles et d’autres formes d’indemnisations. »

Mme Leblond dit que son conjoint aidant naturel et elle reçoivent chacun 1820 $ par mois, ce qui leur permet de subvenir à leurs besoins de base, mais pas de passer les mois d’hiver dans un climat chaud.

« Mes crises sont moins grandes quand je passe les mois d’hiver dans un endroit chaud et sec, mais je ne peux pas me le permettre financièrement », dit Mme Leblond.

« Un espoir déçu »

L’avocat Marc Bellemare, qui l’épaule dans cette affaire depuis des années, note que « la CAQ n’a malheureusement pas respecté ses engagements » envers Nancy Leblond.

« Nancy Leblond a été blessée gravement, elle a été défigurée avec des brûlures majeures au niveau du visage. Elle ne peut pas sortir l’hiver, elle sort juste l’été. C’est une vie de misère. »

Elle voudrait poursuivre GM, le constructeur automobile à l’origine de son accident, mais ne peut pas le faire parce que son accident est survenu au Québec, dit-il.

« La CAQ lui avait promis de toucher à ça, de lui verser des indemnités et d’améliorer son sort et de lui permettre de poursuivre le fabricant, mais ça n’a jamais été fait. »

Le 1er juillet 2022, la loi 22 a été modifiée. Certaines indemnités ont été bonifiées, mais cela n’a aucun effet sur la condition de Mme Leblond, note MBellemare. « C’est un espoir déçu. »

La seule façon pour elle d’obtenir de meilleures conditions est un changement législatif, dit l’avocat.

« Depuis le 1er mars 1978, c’est la même chose : il n’y a aucun recours possible contre les fabricants automobiles au Québec alors que c’est possible de le faire ailleurs. Alors moi, je ne peux pas bouger. C’est pathétique. »

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